Deuil après suicide : complications
Les périodes de grand bouleversement sont des moments à risque d’impacter la santé mentale et physique des personnes qui les vivent. Après le décès d’un proche par suicide, il est important de ne pas « pathologiser » le deuil, mais également de reconnaître les signes de complications qui peuvent survenir quand il y en a. En effet, ces complications peuvent nécessiter un recours à des ressources spécifiques en plus du soutien et l’accompagnement du processus de deuil en lui-même. Un repérage et une prise en charge précoce de ces complications sera moins difficile et moins longue qu’une prise en charge plus tardive.
Ces complications peuvent être de différents types :
- Le choc peut révéler une vulnérabilité qui existait déjà mais qui n’était jusqu’alors pas pathologique, et la faire basculer vers un véritable trouble. Cela peut concerner en particulier des personnes qui présentaient des antécédents médicaux (c’est-à-dire qui avaient déjà fait au moins un épisode de maladie) ou traversant à ce moment une période de fragilité.
- Même sans vulnérabilité identifiée auparavant, il est possible qu’un trouble apparaisse. Ce trouble peut être psychiatrique ou physique et aura un retentissement important sur le fonctionnement dans la vie quotidienne.
- En cas de « blocages » dans l’évolution du processus de deuil et de perturbations importantes dans la durée, on parlera de trouble de deuil prolongé.
Compte tenu de la particularité du deuil après suicide, il n’est pas toujours facile de différencier les processus normaux des processus pathologiques. En cas de doute, la possibilité d’accès à un professionnel (médecin généraliste ou psychiatre) est essentielle pour poser un diagnostic et proposer des soins spécifiques. Les descriptions suivantes présentent certaines caractéristiques des troubles les plus fréquents. Il ne s’agit toutefois que d’un résumé et ne suffit pas à poser un diagnostic.
Santé mentale
Parmi les complications psychiatriques les plus fréquentes, on retrouve l’épisode dépressif, la crise suicidaire, le trouble de stress post traumatique et le trouble de deuil prolongé.
- L’épisode dépressif se caractérise par une douleur psychique intense associée à des perturbations émotionnelles (ex : trop plein ou au contraire « anesthésie » des émotions), des perturbations psychique et motrices (ex : ralentissement des pensées et/ou des mouvements) et des perturbations physiologiques (ex : perturbations du sommeil et de l’appétit). Ces perturbations entrainent une dégradation de la vie quotidienne (travail, activités sociales, relations aux autres). Certains points peuvent parfois aider à faire la différence entre le deuil et la dépression :
- Le risque de faire face à des idées suicidaires et à une crise suicidaire est augmenté chez les personnes qui vivent le décès par suicide d’un proche. Il est important que les personnes soient informées de ce risque car en plus du tabou et du stigma général autour des idées suicidaires, les personnes endeuillées peuvent en plus ressentir une culpabilité et une honte décuplées par l’expérience de la perte d’un proche par suicide.
Il est donc important de ne pas ajouter de la culpabilité à ces situations. Toutefois, le fait d’avoir des idées suicidaires ne doit jamais être banalisé et il est essentiel que les personnes qui traversent ces difficultés puissent bénéficier d’une prise en charge spécifique et individualisée. Au cours de la crise suicidaire, la souffrance prend une ampleur telle qu’elle vient empêcher l’accès aux ressources habituelles des personnes qui les traversent et peuvent donner le sentiment de se retrouver sans solution pour apaiser cette souffrance. Dans ces moments, l’accès à des ressources externes est indispensable.
- Le suicide d’un proche est un évènement traumatique, qui peut conduire à un état de stress aigu (avant 1 mois) ou à un état de stress post-traumatique (à plus d’1 mois). Ce dernier est un trouble caractérisé par le fait de revivre en boucle l’événement traumatique (flash-back, cauchemars), d’éviter tout ce qui peut rappeler l’événement traumatique, et d’être en état d’hyper-vigilance (sens en alerte, sommeil léger, sursaut au moindre bruit, irritabilité). L’intensité des difficultés, la durée et l’absence d’amélioration de ces symptômes avec le temps est évocateur d’un trouble de stress post traumatique. Ce dernier nécessite une attention er un suivi particuliers par un professionnel de santé.
- Dans des moments de détresse, la recherche de moyens de soulagement peut passer par des modifications de fonctionnement ou des consommations (tabac, alcool, médicaments anxiolytiques, cannabis…). Ce sont des moments à risque de développer un trouble de l’usage, qui est défini par une consommation dans le but de prendre du plaisir ou d’atténuer un mal-être, associée à une perte de contrôle et une impossibilité de s’arrêter malgré la connaissance des conséquences négatives. Toute consommation n’est donc pas nécessairement un trouble de l’usage, mais lorsqu’il est présent ce trouble majore le risque de développer d’autres complications et favorise l’isolement social, déjà présent dans le deuil après le suicide d’un proche.
- Lorsque les réactions de deuil (difficultés à accepter le décès, sentiment que la vie n’a plus de sens, éviter tout ce qui rappelle le défunt…) durent toute la journée et tous les jours plus d’un an après le décès (6 mois chez l’enfant et l’adolescent), on parle alors de trouble de deuil prolongé. En pratique, cela correspond souvent à un blocage dans le processus de deuil avec une absence de réorganisation, c’est-à-dire de réinvestissement d’un monde où le proche est absent.
Santé physique
Les complications de l’état de santé physique qui peuvent survenir sont le résultat de l’intensité du stress vécu et d’une tendance à moins solliciter les médecins généralistes ou spécialistes (par perte de confiance envers les soignants ou un sentiment d’illégitimité par exemple). Il est important de pouvoir garder un suivi médical régulier avec son médecin généraliste afin de pouvoir dépister l’apparition de ces complications.
Parmi les complications relatives à l’état de santé physique chez les personnes endeuillées, on retrouve notamment un risque augmenté d’hypertension artérielle, de diabète, de maladies cardiovasculaires et de broncho-pneumopathies obstructives.
Il existe un retard d’accès au soutien et aux soins pour les personnes endeuillées par le suicide d’un proche, notamment en lien avec un vécu d’illégitimité à consulter des professionnels de santé. S’il est important de rappeler que toutes les personnes ne nécessitent pas forcément des soins médicaux, ceux qui en ressentent le besoin ou qui présentent des signes de complications sont toujours légitimes à accéder à des soins spécifiques. Les conséquences sociales (arrêt longue maladie, isolement social) de ces troubles ont un grand impact au niveau individuel et leur prise en charge permet de soulager certaines difficultés de fonctionnement dans la vie de tous les jours.
Nous espérons que cet article vous a permis d’apporter des réponses aux questions que vous vous posez. Si certaines questions demeurent à l’issue de la lecture, n’hésitez pas à contacter notre équipe via le tchat. Nous prendrons le temps d’y répondre de manière individualisée pour vous aider au mieux.
Bibliographie
Bolton, J. M., Au, W., Leslie, W. D., Martens, P. J., Enns, M. W., Roos, L. L., Katz, L. Y., Wilcox, H. C., Erlangsen, A., Chateau, D., Walld, R., Spiwak, R., Seguin, M., Shear, K., & Sareen, J. (2013). Parents Bereaved by Offspring Suicide A Population-Based Longitudinal Case-Control Study. Jama Psychiatry, 70(2), 158‑167. https://doi.org/10.1001/jamapsychiatry.2013.275
Carpenter, B. D. (2015). DSM-5. In S. K. Whitbourne (Éd.), The Encyclopedia of Adulthood and Aging (p. 1‑4). John Wiley & Sons, Inc. https://doi.org/10.1002/9781118521373.wbeaa193
Kristensen, P., Weisæth, L., & Heir, T. (2012). Bereavement and mental health after sudden and violent losses : A review. Psychiatry, 75(1), 76‑97. https://doi.org/10.1521/psyc.2012.75.1.76
McMenamy, J. M., Jordan, J. R., & Mitchell, A. M. (2008). What do suicide survivors tell us they need? Results of a pilot study. Suicide & Life-Threatening Behavior, 38(4), 375‑389. https://doi.org/10.1521/suli.2008.38.4.375
Pitman, A., De Souza, T., Khrisna Putri, A., Stevenson, F., King, M., Osborn, D., & Morant, N. (2018). Support Needs and Experiences of People Bereaved by Suicide : Qualitative Findings from a Cross-Sectional British Study of Bereaved Young Adults. International Journal of Environmental Research and Public Health, 15(4). https://doi.org/10.3390/ijerph15040666
Pitman, A. L., Rantell, K., Moran, P., Sireling, L., Marston, L., King, M., & Osborn, D. (2017). Support received after bereavement by suicide and other sudden deaths : A cross-sectional UK study of 3432 young bereaved adults. BMJ Open, 7(5), e014487. https://doi.org/10.1136/bmjopen-2016-014487
Pitman, A., Osborn, D., King, M., & Erlangsen, A. (2014). Effects of suicide bereavement on mental health and suicide risk. The Lancet. Psychiatry, 1(1), 86‑94. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(14)70224-X
Sveen, C.-A., & Walby, F. A. (2008). Suicide survivors’ mental health and grief reactions : A systematic review of controlled studies. Suicide & Life-Threatening Behavior, 38(1), 13‑29. https://doi.org/10.1521/suli.2008.38.1.13