Deuil après suicide : définition, manifestations, processus
Chaque expérience de deuil est unique. Certains des vécus et processus décrits pourront parler à certains et pas à d’autres, être simultanés ou séparés dans le temps.
Etat de deuil
L’état de deuil se réfère au fait objectif d’avoir perdu un proche. Toutefois pour un même décès, les états de deuil peuvent être différents. Cerel & al. (2014) proposent de schématiser les différents états de deuil, sous la forme d’un continuum. Dans ce continuum, on retrouve les personnes exposées, affectées, endeuillées à court terme et endeuillées à long terme après un suicide.
Réponses de deuil
Les réactions ou réponses de deuil peuvent être nombreuses, et prennent la forme de manifestations affectives, physiques et cognitives. On retrouve des réponses communes avec le deuil en général, mais également des spécificités qui rendent le deuil après suicide particulier.
Réponses non traumatiques :
- Parmi les émotions qui peuvent survenir on retrouve la sidération, la tristesse, la colère, la culpabilité, l’angoisse, le désespoir, l’incompréhension, la solitude… Il est important de pouvoir nommer et reconnaître ces émotions pour qu’elles puissent s’exprimer, à la manière de chacun. Dans le deuil après le suicide d’un proche, la colère, la culpabilité et l’incompréhension peuvent prendre une place majeure et vont s’inscrire dans des processus de deuil particuliers.
- On retrouve des réponses physiques et comportementales telles que la fatigue ou la lassitude, des perturbations du sommeil, des douleurs diffuses, une irritabilité, une tendance à l’isolement.
- En ce qui concerne les réactions cognitives on peut voir des répétitions de pensées sous forme de ruminations, des difficultés de concentration et d’attention, qui parfois impacte légèrement la mémoire, le raisonnement et l’orientation.
Même si ces réactions font partie des réponses normales face au deuil, leur intensité, leur durée ou bien leur retentissement dans la vie quotidienne peuvent parfois inquiéter ceux qui les traversent ainsi que leur entourage. Il est important de ne pas « pathologiser » ces vécus, dans le sens ou toutes ces réponses ne sont pas signe d’une pathologie. Mais il est également important d’être vigilant sur ces réactions, car la perte d’un proche par suicide est un choc immense et donc une situation à risque. Certaines complications physiques et psychiatriques peuvent apparaître et nécessiter un accompagnement par des professionnels de santé (voir article Deuil et complications).
Réponses traumatiques :
Le décès par suicide d’un proche pouvant être un événement traumatique, il peut être à l’origine de réponses spécifiques face à cet évènement. Parmi ces réactions traumatiques on retrouve des reviviscences, sous forme de pensées /sons / images faisant intrusion dans notre esprit ou de cauchemars. On peut également montrer des signes d’hypervigilance : être sur ses gardes, sursauter au moindre bruit. Enfin, il est possible de présenter des réactions d’évitement, qui consiste à éviter tout ce qui peut être en rapport, de près ou de loin, avec le traumatisme.
Même s’il peut être normal de vivre certaines de ces réactions, puisqu’elles sont une réponse au stress, si elles sont trop nombreuses ou trop envahissantes (impact trop important sur la vie quotidienne) alors elles peuvent conduire à un trouble de stress post traumatique, qui nécessite une attention et un suivi particulier par un professionnel de santé. Le numéro national de prévention du suicide 3114 permet notamment l’accès à des professionnels de santé 24h/24 et 7j/7, pour les personnes elles-mêmes concernées, inquiètes pour un proche ou endeuillées par le suicide d’un proche.
Processus de deuil
Le processus de deuil, parfois appelé travail de deuil ou chemin de deuil, se rapporte aux processus d’adaptation qui surviennent après la perte d’un proche. Si ce cheminement est intime et propre à chacun, on peut également retrouver des points communs, des étapes par lesquelles il est possible de passer. Dans ces processus, on retrouve des similitudes avec le deuil général, mais aussi certaines spécificités au deuil par suicide (Shields et al. 2017) :
- La culpabilité peut être très marquée, dès les premiers instants du deuil. Elle sera souvent en rapport avec des questionnements autour des raisons du passage à l’acte, avec l’impression d’avoir pu « manquer quelque chose » pour sauver son proche. Elle pourra prendre la forme de questions ou d’auto-accusations : « pourquoi n’ai-je rien vu ? », « j’aurais du… j’aurais pu… ». C’est un vécu lourd, dont le poids ne se divise pas entre les proches et chacun des proches pourra avoir l’impression de porter 100% de cette culpabilité.
- La colère peut être présente à tout moment, dirigée ou non, et peut être majorée par le sentiment d’incompréhension. Elle peut être dirigée à l’encontre de personnes considérées comme responsables du décès (collègues, amis, membres de la famille…), de personnes qui avaient pris en charge le défunt (soignants, travailleurs sociaux…) ou du défunt lui-même. De la culpabilité peut survenir lorsqu’il n’est pas possible de ressentir de la colère à l’égard du défunt et que cette colère se « retourne » contre la personne endeuillée, ce qui est fréquent dans le cas du décès par suicide.
- Les ruminations sont fréquentes dans le deuil, mais les pensées qui les sous-tendent sont de deux types principaux. Certaines peuvent participer à augmenter la détresse psychique alors que d’autres peuvent aider à la soulager. C’est le cas des ruminations qui se focalisent sur l’expérience et le vécu, qui sont plutôt constructives et associées à plus de facilité de récupération après un grand stress. A l’inverse, les ruminations centrées sur les causes et les conséquences de l’état de deuil peuvent être moins aidantes et sont liées à une plus grande vulnérabilité émotionnelle et à l’humeur dépressive. Ces ruminations peuvent être particulièrement présentes dans le deuil après suicide, du fait des questionnements autour du « pourquoi » et de la recherche de sens.
- Le stigma renvoie à la fois au stigma extérieur (de la société) et à l’auto-stigma (qui vient de soi). Le stigma extérieur résulte d’un héritage de la condamnation du suicide par les religions et la loi dans notre société. L’auto-stigma s’associe au sentiment de honte, et vient d’une assimilation de ce que nous renvoie la société couplée au sentiment subjectif accru d’être stigmatisé à cause de notre perte. Ce stigma peut générer une tendance à l’isolement et au repli des personnes endeuillées par le suicide d’un proche.
- Le deuil peut causer un grand vécu de perte de sens et un besoin de reconstruire du sens. Le suicide d’un proche peut être vécu comme un « tremblement de terre psychique », il y a « un avant et un après ». Cela conduit souvent à une perte de repères et de sens, en lien avec la brutalité du geste et de la perte de l’être cher. Le processus de (re)construction de sens qui va en découler consistera à retrouver des anciens repères et en découvrir de nouveaux, redéfinir son identité et retrouver un sens à la vie.
En réaction au manque brutal qui peut survenir après le suicide d’un proche, la recherche d’une façon de maintenir un lien avec l’être cher sera décuplée par rapport au deuil en général. Pour certains, cela pourra passer par des rites funéraires et des commémorations (numériques ou physiques), l’évocation de souvenirs, l’utilisation du prénom du défunt. Il est important de pouvoir retrouver une nouvelle forme de lien malgré et à cause de l’absence physique de son proche. Ainsi l’expression « travail de deuil » ne signifie pas oublier, mais permettre à ce lien parfois douloureux de cicatriser et retrouver sa juste place.
Ces différents processus surviennent souvent par vagues, ils ne sont pas linéaires et ils peuvent se croiser, se superposer et évoluer tout au long du deuil. La temporalité de ces différentes étapes peut varier en fonction des personnes, et les durées « type » établies pour le deuil en général ne s’appliquent pas toujours. Certains passages sont donc plus ou moins longs, sans que cela soit nécessairement pathologique. Toutefois, il est aussi possible qu’apparaissent des blocages à certains points de ce chemin, qui peuvent refléter l’apparition de certaines complications, qui pourront alors nécessiter un accompagnement et des soins spécifiques (voir article Deuil et complications).
Le deuil après le suicide d’un proche présente des spécificités qui en font un deuil particulier. Comprendre et exprimer ces vécus parfois contradictoires peut permettre à chacun de traverser ces processus de deuil. Il est important de ne pas « pathologiser » ces spécificités, mais également de reconnaître, quand il y en a, les signes de complications qui peuvent survenir.
Nous espérons que cet article vous a permis d’apporter des réponses aux questions que vous vous posez. Si certaines questions demeurent à l’issue de la lecture, n’hésitez pas à contacter notre équipe via le tchat. Nous prendrons le temps d’y répondre de manière individualisée pour vous aider au mieux.
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