Le témoignage de Françoise
Françoise a perdu son fils, il y a 4 ans. Elle a accepté de nous raconter l’histoire de son fils.
C’est l’histoire de mon fils. Il s’est suicidé à l’âge de 18 ans et une semaine. Il n’avait pas de maladie particulière. Il venait de démarrer médecine. Il avait fini second à son concours de prépa. Il avait une petite copine. Il était bénévole à la Croix-Rouge française. Tout allait super bien et le soir de ses 18 ans, il se met à pleurer et commence une dépression « flash ». Je ne sais pas comment on appelle ça, un éclair en une semaine. Et puis un jeudi matin, il prend son vélo et il va se jeter sur un pont. Il n’est pas mort sur le coup. Il décède le soir. Voilà, c’est l’histoire de notre fils. On ne comprend pas pourquoi il s’est suicidé.
Il ne nous a rien laissé, aucune trace écrite, aucune lettre, aucun indice concret. Un an plus tard, il y a un article dans la presse. Il parle d’un formateur qui est accusé d’agression sexuelle sur des enfants de l’âge de notre fils, sur la période où notre fils était bénévole chez eux. Et là, on porte plainte, il y a eu enquête, on ne trouve pas beaucoup d’infos puisque Théo n’a rien laissé, donc juste quelques éléments qui me permettent de me dire que je ne suis pas folle. Et c’est ça, la raison de son geste, j’ai la chance un an après de comprendre pourquoi il s’est suicidé. Le procès est le mois prochain. Jamais je n’avais imaginé que j’aurais pu avoir un enfant qui se suiciderait. On les a élevés dans l’amour. Il y a des gens qui ont l’impression que le suicide, ça n’arrive qu’aux cas sociaux. J’ai aimé mon fils et je l’aime encore. C’était un enfant désiré, un enfant qui a été aimé tout le temps où il était là et qui l’est encore.
Au tout début, on ne comprend pas ce qui nous arrive, on est complètement perdu. Je ne sais même pas comment on a fait les choix qu’il a fallu faire comme choisir le cercueil, puis on vous demande la couleur de l’intérieur… Franchement, tout ça, c’était super dur. Même gérer mon second fils. C’est compliqué toute cette partie-là et on n’est pas aidé. On n’est tellement pas prêt. Ce n’est tellement pas naturel d’enterrer son enfant, ça n’aurait pas dû être dans cet ordre-là.
Dans la famille élargie, c’est super compliqué. De mon côté, mes parents me parlent de Théo. Pour moi, c’est super important de continuer de parler de Théo et ça le fait vivre encore quelque part. Mais dans la famille de mon conjoint du jour où Théo est décédé, ils ont arrêté de parler de lui. Du coup, pour moi, c’est horrible, en fait. Trois semaines plus tard, j’ai repris le travail. Il faut être honnête, j’ai mis quatre mois, je pense à retravailler véritablement, mais c’était important pour moi de partir de chez moi et d’aller voir des gens. Ces derniers étaient adorables. Par la suite, je me suis engagée dans du bénévolat. Je suis écoutante à SOS Amitié depuis maintenant 2 ans. J’ai été formée à comment accompagner les gens en dépression, quel type de réponses on doit apporter, jusqu’où on peut aller, ce qu’on ne doit pas faire…
En fait, ça m’apporte beaucoup. Le simple fait de me sentir utile quand les gens ne vont pas bien et qu’ils appellent à une heure du matin, deux heures du matin pour avoir quelqu’un. Et puis on est là. Je fais également partie d’une association de parents endeuillés par suicide. C’est Phare enfants, parents. Au début, je suis beaucoup allée aux groupes de parole. Il y a un véritable élan de solidarité entre nous. On se comprend. On a vécu les mêmes choses, même si les histoires de la perte de notre enfant sont complètement différentes. La première année, je suis allée trois semaines après la mort de Théo. J’y suis allée très vite et ça m’a énormément aidée. C’était un lieu où je rencontrais des gens qui étaient comme moi, alors que dans la vie de tous les jours, quand vous dites que « vous avez perdu un enfant » on vous regarde bizarrement. Et puis quand on vous demande de quoi et que vous dites, c’est un suicide, on vous met une étiquette « cas social ». Je m’attendais à être cocoonée par plein de parents qui avaient connu ça, il y a de nombreuses années. Et en fait, on était au moins 4 à 6 nouveaux le jour où j’y suis allée. De plus, les premières fois où j’y allais, il y avait toujours des nouveaux parents qui arrivaient. C’était un truc de fou où on se dit en fait, nous, on n’a jamais été sensibilisé au problème. On n’a jamais imaginé que ça pouvait nous arriver et ça arrive à des tas de personnes tous les mois. C’était bien Phare enfants parents parce que c’était l’endroit où je n’étais pas jugée. Je pouvais en parler. Je pouvais raconter mon histoire tout en pleurant, ça n’inquiétait personne.
Ainsi, les personnes qui m’ont le plus soutenue, ce sont les gens de Phare enfants parents. Par exemple, à l’association, j’ai rencontré quelqu’un qui me soutient beaucoup et que j’appelle ma marraine de deuil…. J’ai aussi rencontré une maman rayonnante, pleine de couleurs, de la voir sourire comme ça, ça m’a fait du bien. Je me suis dit, c’est possible, en fait. C’est vraiment quelqu’un d’important pour moi maintenant dans ma vie. Et puis après, il y a eu une autre maman qui est arrivée et elle avait perdu aussi un petit Théo. Et je suis allée vers elle très vite en lui disant « On pleure toutes les deux des Théo ». Ces deux personnes habitent toutes les deux en Normandie, ainsi quand je vais en Normandie, je les vois toutes les deux. Ces personnes m’ont aidée à espérer une suite et une vie pour mon deuxième parce que j’ai un autre enfant et je me disais que pour lui, c’était terrible. Il a perdu son frère et il a perdu ses parents, on n’est plus pareil. Il y aussi la psychologue de Phare qui m’aide depuis un an avec mon conjoint. De même, pendant le confinement, j’ai fait beaucoup de live de Christophe Fauré et de Damien Boyer sur Mieux traverser le deuil. À vrai dire, le confinement a fait qu’on a réappris à vivre tous les trois, mon mari, mon second et moi, et ça nous a fait du bien.
En fait, il y a également une maman qu’on connaissait indirectement. C’est la mère du meilleur ami de mon fils disparu. Il avait une petite sœur du même âge que notre deuxième. Et la petite sœur avait un cancer et elle est décédée deux ans après notre fils. Le jour où on nous a annoncé son décès, j’avais envie de contacter les parents et je pense que si mon fils n’était pas décédé, je ne l’aurais jamais fait. En fait, c’est mon deuxième qui a contacté le copain de notre fils qui avait disparu. Et je me suis dit « mais si lui, il ose, pourquoi toi t’oses pas ? » Et je les ai contactés. J’ai envoyé un message de soutien pour leur dire que moi aussi, j’avais perdu un enfant. Ce n’étaient pas les mêmes raisons, mais si elle avait besoin de se voir pour pleurer, pour discuter, pour faire ce qu’elle voulait. Je lui ai donné mon numéro de téléphone et par la suite, elle m’a appelée. Je ne sais pas comment expliquer.
Le fait d’aider quelqu’un qui venait de démarrer son chemin, c’était un soutien aussi.
Parfois, c’est moi qui ne vais pas bien, parfois c’est elle qui ne va pas bien, mais je ne sais pas, ça nous porte toutes les deux. J’ai quand même eu quelques amis qui m’ont aidée et qui n’ont pas perdu d’enfant, qui ont su me soutenir, qui ont su accepter que je pleure, que je parle de Théo sans trouver ça bizarre. Après, j’ai fait beaucoup de ménage dans la famille. J’avais une énorme famille. Les gens qui n’ont pas su me rappeler tout ça, pour moi, c’est bon. Je suis super en colère du tabou en France, parce que mon fils allait mal, il y a eu une semaine pour qu’on réagisse, mais c’est court. Mais en même temps, on aurait pu faire des choses. Je n’ai pas réalisé qu’il pouvait se suicider.
Si je regarde en arrière, j’aurai peut-être aimé plus d’associations comme Phare. À l’hôpital, à la chambre mortuaire, ils ne nous ont pas trop aiguillés ni trop conseillés. L’infirmière nous a dit que comme il y a enquête, on ne pouvait pas voir notre fils. Cependant, elle nous a permis de le voir, mais en nous demandant de ne pas le toucher. Je trouve que donner des conseils, c’est difficile. Je ne vois pas de crédibilité particulière pour donner un conseil à quelqu’un. Je dirais qu’il faut penser à soi. C’est ce que j’ai appris en 4 ans. Au début, on a l’impression qu’on devient un peu fou parce qu’on ne pense qu’à notre enfant décédé tout le temps, matin, midi et soir. C’est un peu ingérable parce que ça nous monopolise, on n’arrive à rien faire d’autre, mais avec le temps, on pense toujours à son enfant, mais on arrive à faire autre chose. On continue à vivre pour les autres et pour soi, mais tout en gardant notre enfant disparu auprès de soi.
Il y avait Fabienne de l’association Phare qui me disait « Je vois votre sourire derrière » et je me disais mais elle se fout de moi. Je ne voyais que les larmes. Mais effectivement, mon sourire est revenu et ce n’est pas pour ça que je ne suis pas triste, mais voilà la vie continue et différemment, et on est sûrement plus sensible à plein de choses.
Je me rends compte que j’ai fait des choses positives après la mort de Théo. Ainsi, j’ai été écoutante à SOS. Je n’aurais jamais fait ça si Théo n’était pas décédé par suicide. Je suis en train de m’engager dans du coaching. J’ai suivi avec le Colosse aux pieds d’argile à la formation sur les violences sexuelles. Par ailleurs, j’aimerais bien créer une association pour les jeunes hommes victimes d’agressions sexuelles parce que je trouve qu’il n’y a pas grand-chose pour eux, mais ça c’est la cible la plus lointaine. Je me dis que moi, au début, ça m’a réconfortée de lire les témoignages des autres. Donc, c’est chacun son tour. Peut-être que l’histoire de Théo que j’ai confiée ici, résonnera chez quelqu’un et ça apportera quelque chose.