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Le témoignage de Céline

Le témoignage de Céline

Céline a perdu son fils, il y a 14 ans. Elle nous raconte son histoire.

C’était en septembre 2008 : mon fils qui a l’époque avait 30 ans, s’est suicidé. Ça a été un choc terrible. Il était atteint de dépression depuis 6 mois et on voyait bien qu’il allait mal, mais jamais on a pensé qu’il allait faire ça. Avant sa dépression, il vivait aux Etats-Unis. L’origine de sa dépression a pris naissance là-bas, dans sa vie personnelle, il a eu une déception amoureuse suivie d’un harcèlement, d’une humiliation sur son lieu de travail. Voyant qu’il n’allait pas bien, on l’a fait revenir en France. Quand il est revenu, il a été suivi, mais ça n’a pas suffi et effectivement au bout de 6 mois, il a mis fin à ses jours. Ça a été un choc épouvantable. C’est moi qui l’ai trouvé dans notre jardin. Il est décédé dans l’ambulance du SAMU. J’ai vécu un terrible traumatisme. Les premiers temps, j’étais complètement au fond du trou. J’avais l’impression que ma vie n’avait plus de sens. J’ai pourtant une autre fille aussi mais je n’arrivais pas à retrouver le goût de vivre. J’étais très proche affectivement de mon fils. Je n’avais plus de raison de vivre. Je n’avais pas envie de me suicider, mais j’avais envie de mourir. 

Néanmoins, j’étais très entourée. J’avais mon mari, et ma fille, bien qu’elle ne vivait pas sur Rennes, elle était quand même très à l’écoute. Et puis j’ai eu mon métier. Les deux premières semaines, je suis restée prostrée chez moi, c’était épouvantable, et puis j’ai très vite éprouvé le besoin d’aller travailler parce que j’avais beaucoup de mal à rester chez moi toute seule. En revanche, au travail, j’étais entourée, mes collègues étaient absolument adorables et j’avais aussi mes clients. J’ai eu des témoignages, même très discrets, une main posée sur le bras, ça m’a énormément aidée. Et puis progressivement quand ça a commencé à se savoir, des gens m’ont dit qu’ils avaient vécu le même événement. Je me suis rendu compte qu’il y avait un nombre incroyable de personnes qui avaient vécu des choses identiques à la mienne et qui n’en avaient jamais parlé. Et finalement, c’est comme si je rentrais dans une même famille, c’est curieux à dire, mais ça aussi ça m’a aidée de me rendre compte que je n’étais pas toute seule. Et donc bien sûr, on passe par toutes les phases : la culpabilité et puis la colère. Je me souviens de la période où j’étais chez moi, et où me retrouvant seule le matin. Je hurlais. Il fallait que ça sorte.                                                                                        

Parmi les gens qui m’ont aidée, j’ai eu aussi une amie que j’avais connue pendant les études. Elle était médecin généraliste à l’époque, elle est venue à l’enterrement et elle m’a dit « je ne te lâcherai pas » et effectivement, elle m’appelait tous les soirs. Elle a fait ça pendant plusieurs semaines. Quand elle m’appelait, ça ne durait pas longtemps. J’attendais ce coup de fil avec impatience, elle me distillait des choses comme ça pendant 5 min même pas, pendant qu’on parlait. Une fois elle m’avait dit quelque chose qui m’avait choquée : « il faudra bien que tu le laisses partir », je me disais « non mais ce n’est pas possible, comment peut-elle me dire ça, je viens déjà de le perdre, il faudrait que je le laisse partir ? ». J’ai compris longtemps après. Oui, bien sûr, il faut bien à un moment donné laisser partir, ça veut dire aussi quelque part de réussir à consentir à ce qu’il vous est arrivé et ne plus y être accrochée sans arrêt. Cesser de tourner en boucle dans son malheur.

Il m’a tout de même donné 30 ans de bonheur et ces 30 ans de vie partagés, c’est un trésor que personne ne pouvait me prendre. Par ailleurs, elle m’a suggéré l’écriture. Je n’étais pas convaincue mais un jour, ça m’a pris, j’ai commencé à écrire dans un grand cahier, mon crayon ne se levait pas, c’était vraiment une logorrhée. J’ai surtout écrit ce qui me passait par la tête, mais surtout des souvenirs parce que ma grande hantise, c’était d’oublier le son de sa voix, ce qu’on avait vécu ensemble. Ça m’a fait du bien. J’ai également une personne qui m’a énormément aidée et ça a été vraiment la clé vers le retour à la vie. En fait, je n’allais pas bien et mon mari m’a dit d’aller voir notre médecin généraliste. Ce dernier m’a conseillé de consulter un psychiatre. Quand je suis allée voir la psychiatre pour la première fois, elle m’a dit « écoutez, bon déjà vous n’êtes pas malade, vous êtes en deuil. Vous avez vécu un deuil traumatique donc vous avez besoin d’aide et je vais vous aider et on va y arriver ». Ce que j’ai énormément apprécié chez elle, c’est qu’elle était dans l’empathie, elle était dans l’écoute et l’échange. Je n’avais pas l’impression d’aller voir un psychiatre. J’avais l’impression d’aller voir une amie à qui je me confiais. Au bout de 18 mois, quand ça a commencé à aller beaucoup mieux. Elle m’a dit « je pense que vraiment vous en êtes sortie », bon évidemment qu’on ne se remet jamais de la perte d’un enfant, on traîne ça jusqu’à la fin de ses jours. Mon fils, il était grand, beau et intelligent. Il avait un métier, il avait tout pour être heureux. Mais je n’avais pas pris conscience que la dépression, c’était vraiment une maladie qui pouvait toucher n’importe qui et qui pouvait mener à ce désespoir absolument total qui fait que la douleur est tellement forte que celui qui en souffre se persuade qu’il n’y a pas d’autres issues pour y échapper que de mettre fin à ses jours.

Avant de quitter ma psychiatre, je lui ai demandé si elle connaissait des associations consacrées au deuil pour rencontrer des gens qui avaient vécu des drames comme le mien. Je voulais aider, leur dire « ne vous désespérez pas parce qu’on peut s’en sortir ». Ainsi, elle m’avait conseillé effectivement une association qui s’appelle Jonathan Pierres Vivantes, association de parents endeuillés. Je suis allée dans cette association et c’est vrai que ça m’a beaucoup aidée. En fait, j’y suis allée au départ pour aider les autres. Ce partage m’a aussi aidée à la suite de tout ça, à cicatriser. Et puis après je me suis investie dans plusieurs associations en prévention du suicide. Maintenant que j’ai donné dans le domaine pendant plus de 10 ans, j’ai décidé d’arrêter parce que j’avais besoin aussi de passer à autre chose. 

Il y a quelque chose aussi que je voulais raconter : c’est venu, je dirais peut-être 5 ou 6 ans après le décès de mon fils. J’ai eu l’impression d’aller vraiment beaucoup mieux et j’ai eu l’impression et je l’avais dit d’ailleurs à un psychiatre d’une association, je lui avais dit « écoutez c’est curieux parce que j’ai le sentiment d’un accouchement à l’envers ». C’est-à-dire que mon fils, bien qu’il ne soit plus là, est rentré en moi et que c’est devenu une force de vie. Ce n’était plus quelque chose de négatif, même si bien sûr, il m’arrive encore parfois de repenser à ce qui est arrivé particulièrement ce jour-là et de souffrir de son absence. Ma fille a eu un bébé, j’ai un petit-fils de 3 ans qui fait absolument mon bonheur. Mais voilà, je n’aurais jamais de petits enfants de mon fils et c’est une souffrance. J’ai le sentiment que mon fils est en moi et qu’il m’aide dans les moments de vie où c’est un peu plus compliqué.

J’ai également fait des formations sur le suicide lors d’un week-end sur la postvention. Alors, c’est vrai que quand on comprend, on se dit qu’il y a plein de choses à faire. Je trouve qu’il y a déjà beaucoup de choses de faites depuis quelques années, on en parle davantage. Et il faut en parler bien sûr et faire en sorte que ça ne soit pas un sujet tabou. J’aurais aimé qu’il y ait plus de communication à propos de ça. Quand c’est arrivé, je n’ai absolument pas été prise en charge, le SAMU est arrivé et bon finalement, je suis restée là. Ils sont partis avec mon fils dans l’ambulance, il est mort en arrivant à l’hôpital, mon mari a suivi et au bout d’un moment je me suis retrouvée toute seule avec un policier. Il m’a demandé s’il pouvait partir et me laisser seule, j’ai répondu que oui. Il est parti et je me suis retrouvée livrée à moi-même, complètement sonnée environ une demi-heure après le drame. C’est hallucinant. On ne m’a jamais demandé si j’avais besoin d’aide. Le lendemain, quand je suis allée chercher le certificat de décès à l’hôpital, le médecin me l’a délivré entre deux portes dans un couloir sans un mot…

J’ai beaucoup travaillé sur moi, après le décès de mon fils. Je me suis posée beaucoup de questions « qu’est-ce que tu as fait de ta vie ? ». Bien sûr, j’avais fait des choses, j’avais eu une vie de mère de famille, élevé des enfants, exercé un métier, mais était-ce suffisant ? J’ai vraiment eu envie de donner un sens à ma vie. J’ai réalisé qu’être heureux, c’est tellement fait de petites choses. Je me souviens très bien d’un jour, quelque temps après le décès de mon fils. J’attendais le bus, j’étais assise devant l’entrée du parc. C’était le printemps, y avait des arbres en fleurs, un rayon de soleil, toute cette nature qui s’éveille et là, j’ai ressenti une espèce de plénitude et je me suis dit « mais c’est ça le bonheur ! », il faut savoir goûter ces instants-là parce que souvent on ne les voit pas. Et le bonheur, c’est passer une soirée avec une amie, écouter de la musique, échanger un sourire avec un enfant ou un inconnu. Donc voilà, j’ai reconstruit ma vie sur ces bases-là et je peux dire qu’aujourd’hui, je suis heureuse.

Ça a été mon chemin. Ça ne se fait pas tout de suite. Ça prend du temps et c’est variable, en fonction des personnes.

C’était en 2008. On est en 2022. Ca fait 14 ans. Je vais très bien et il m’a fallu du temps pour me recentrer et rebondir. Et puis y a des moments où ça ne va pas. Il y a des moments où les émotions me rattrapent et c’est normal. Quand je suis arrivée à Saint-Etienne, je suis allée dans une chorale et puis j’ai commencé à chanter, ça m’a fait énormément de bien, c’est un vrai bonheur et vraiment le chant, c’est quelque chose que je conseillerais aussi. Bien sûr, ça peut être aussi autre chose, chacun sa voie. Il faut aller vers les autres parce que ce sont les échanges qui font que vous pouvez essayer d’aller mieux. C’est pour ça que rejoindre des associations de parents endeuillés quand il s’agit bien évidemment de la perte d’un enfant ou des associations de prévention du suicide, c’est quelque chose qui peut énormément apporter, le partage avec les autres, comprendre qu’on n’est pas tout seul à vivre ça. C’est important.

En outre, je pense que c’est important de témoigner. Je me souviens quand je ne dormais pas au début, j’étais tombée sur une émission sur le suicide où des gens témoignaient et ça m’avait beaucoup aidée. À partir du moment où j’ai commencé à aller mieux, je me suis dit, il faut aider les autres, leur dire « mais non, votre vie n’est pas perdue, la vie est belle ». Je ne suis plus du tout la même personne qu’avant. Je me suis bonifiée quelque part. Je suis beaucoup plus à l’écoute des autres et de ceux qui souffrent parce que je peux peut-être comprendre la souffrance, je l’ai traversée. Je suis différente d’avant, je considère que je suis une personne plus accomplie et certainement plus ouverte aux autres, plus tolérante. Et puis aussi comme je le disais tout à l’heure, à l’écoute des petits bonheurs quotidien et qui font le sel de la vie et ça avant je ne le voyais pas ou pas assez.