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Le témoignage d’Emma

Le témoignage d’Emma

Emma avait à peine 19 ans quand elle a perdu son père durant les vacances d’été.

J’ai perdu mon papa, ça fera 2 ans en juillet. Il a fait une très profonde dépression pendant 3-4 ans, je dirais. Et les 6 derniers mois où il était avec nous, il a complètement perdu pied avec la réalité jusqu’à partir. C’est moi qui l’ai retrouvé avec ma maman. J’ai appelé immédiatement les pompiers. Donc, forcément, j’ai eu une phase traumatique. Elle était extrêmement perturbante parce qu’on a l’impression de se perdre soi-même. J’étais en constante peur qu’il se passe quelque chose. Et surtout quelque chose de très bizarre que je tiens vraiment à dire, c’est qu’après souvent, on a, dans mon cas, la peur qu’il revienne en fait. En soi, c’est un peu la peur de revoir ce qu’on a déjà vu, je me mettais à pleurer au milieu d’une pièce parce que j’avais l’impression que tout allait se repasser. Et ça, je n’en n’avais jamais entendu parler et c’est extrêmement perturbant parce que c’est mon père donc je l’aime et en même temps à ce moment-là, je ne veux juste pas le voir.

Pour essayer d’aller mieux, avant j’étais suivie par une psychologue donc j’ai continué, après pour ma phase traumatique, pour les images, j’ai fait de l’EMDR, c’est le mouvement des yeux, ça m’a beaucoup aidée. Le deuil par suicide, c’est l’un des deuils les plus compliqués parce qu’il y a la question du pourquoi, la colère, la tristesse. Y a plein de choses qui se mélangent en même temps au niveau des émotions, c’est compliqué à gérer. Au début, j’étais très, très en colère. Aujourd’hui, je ne le suis plus forcément, mais je me demande toujours pourquoi il a préféré partir plutôt que d’essayer de se soigner, on va dire. En fait, on y pense tous les jours, c’est sûr. Au début, on pense qu’à ça, on se demande « pourquoi il a fait ça ? », comment non, car généralement on le sait, mais « est-ce qu’il a souffert ? », « à quoi il a pensé ? » Et malheureusement, ce sont des questions auxquelles on n’aura jamais de réponses. Il faut accepter le fait qu’on n’aura pas de réponses à toutes nos questions.

Mais ce qui m’a aidée, c’est la psychologue qui m’a expliqué que ce n’est pas mon père qui a fait ça, c’est la maladie qui lui a fait faire. Toutes les personnes qui se sont suicidées, s’il n’y avait pas la maladie, je pense qu’elles seraient toujours là. Ça, ça m’a beaucoup aidée de me dire qu’à ce moment-là, c’était un robot, ce n’est pas lui qui a vraiment fait ça. Après, j’ai travaillé aussi avec quelqu’un qui fait les énergies, je ne sais plus le nom. C’est surtout elle qui m’a aidée avec la colère. En gros, on fait de la méditation et ça nous aide à nous recentrer, à travailler sur nos émotions, à comprendre le pourquoi du comment. Et ça, ça m’a beaucoup aidée pour la colère. Oui, parce que la colère, c’est la première chose qui est venue. Je m’en voulais énormément d’avoir ressenti ça.

La première crainte que j’aie eue, c’est que ma mère fasse pareil, je pense que pour les enfants qui ont perdu un parent, c’est hyper important d’en parler dans ce cas-là, on est légitime et il faut en parler avec le parent qui reste parce qu’il ne faut pas rester avec cette peur. Ma maman n’avait pas du tout le même caractère que mon père donc elle nous a tout de suite rassurés, elle nous a dit que c’était pas du tout envisageable. Nos parents, ce sont nos modèles quelque part donc quand il y en a un qui se suicide, je pense qu’on peut avoir peur de faire pareil, mais ça, il faut en parler aussi parce que voilà le suicide ce n’est pas contagieux, souvent ça vient de complications pendant l’enfance.

La première semaine où il est parti, on n’a jamais été tout seuls, on avait toujours de la famille. Le soutien de la famille, des amis, pour moi, c’est essentiel. Avec ma maman, mon frère, ma sœur, on en parle, mais un peu moins. J’en parle plus facilement avec ma maman, peut-être aussi parce qu’on a toutes les deux vu. Donc c’est peut-être plus facile d’en parler. Mon frère et ma sœur, j’ai essayé de les protéger à ce moment-là même si c’est très compliqué, mais après sinon le reste de la famille, on n’en parle pas forcément. On n’est pas vraiment une famille qui aime ressasser non plus. Mais on sait que si jamais on a envie d’en parler à quelqu’un, on trouvera. Ça, c’est bien que ce ne soit pas un tabou dans la famille parce que c’est inutile.

Ensuite, il a fallu faire les démarches administratives, préparer l’enterrement, faire les déclarations aux impôts, il faut aller chez le notaire aussi. C’est ma maman qui s’en est occupée mais c’est vrai que c’est énorme tout ce qu’il y à faire. Une autre chose qui m’a beaucoup aidée, c’est l’enterrement, de lui dire au revoir, c’était hyper important parce que la semaine, où il était à la morgue, c’était hyper bizarre, je me disais « il était encore sur Terre. Il n’était pas loin de chez moi, car la morgue est en face ». Et le fait de le voir apaisé, de l’enterrer, c’était lui dire au revoir une dernière fois et commencer un peu à se réparer. Aussi voir tous les autres lui dire au revoir, ça montre que personne ne lui en veut parce que tout le monde est venu.

Par la suite, je suis allée le voir deux fois. La première fois, j’ai passé 10 min à pleurer devant la porte avant d’entrer. C’était la première fois que j’étais confrontée à la mort de façon si proche. Du coup, j’avais énormément d’appréhension, mais le fait de lui parler m’a aidé à faire mon deuil. Je lui ai dit à ce moment-là que je ne lui en voulais pas même si ce n’était pas vrai, mais au moins comme ça quand j’aurais travaillé sur moi, que je lui en voudrais plus, il le saura. C’est très bizarre, mais le fait de lui parler, ça m’a beaucoup aidée. Mieux vaut le voir reposé, en paix, on va dire plutôt que garder l’image traumatisante en tête, je pense. Peut-être que tout le monde ne pense pas comme moi.

À la rentrée, mon frère, ma sœur et moi, nous avons repris les cours, ça nous a aidés à penser à autres choses. Maintenant, la prévention du suicide, c’est une cause qui me tient à cœur, je réfléchis à ce que je pourrais faire pour apporter ma petite pierre à l’édifice. Je crois qu’il y a 9 000 personnes qui se suicident chaque année, c’est juste énorme quoi. Pourquoi personne ne fait rien ? Pourquoi pas faire une seule association pour toute la France, mais au niveau des délégations, on les trouverait dans tous les départements et qu’elles soient vraiment actives, qu’elles fassent, je ne sais pas des réunions entre les personnes qui ont perdu des proches par suicide, qu’il ait des psychologues, comme un centre médical, mais en version santé mentale.

Et puis, ce serait intéressant que les personnes puissent se rencontrer parce que je sais qu’avoir le témoignage de quelqu’un d’autres qui a vécu comme nous, moi, je ne l’ai pas eu, mais ça doit aider, je pense. Mon père est parti durant l’été donc quand tu vois les autres qui sont en vacances et tout et que toi t’es là, t’enterres ton papa, t’as même pas 20 ans, c’est dur, lors des fêtes aussi. Pour moi, c’était essentiel de comprendre. À ce moment-là, j’avais 19 ans, c’était impossible que mon père parte comme ça. Je n’avais jamais envisagé le suicide en tant que tel, je savais qu’à un moment, ça allait mal finir, mais jamais j’avais pensé qu’il allait faire ça.

Sinon aujourd’hui, ça va parce que j’ai arrêté de me poser mille questions. Je me dis que je m’en sors pas trop mal quand même parce que je suis allée chercher de l’aide, on m’a aidée. C’est toujours un poids d’abord parce qu’on sait qu’il n’y a que les personnes qui ont vécu comme nous qui peuvent nous comprendre et parce qu’il y a encore tellement de préjugés sur le suicide aujourd’hui. Je suis partagée entre le côté où je veux en parler, mais de l’autre, j’ai peur d’être jugée parce que les gens ne savent pas forcément ce que c’est exactement le suicide.

Son suicide laisse une cicatrice et bien sûr, la vie a changé en négatif parce que, j’ai plus de papa, je suis traumatisée, j’aurais peur sûrement toute ma vie de revoir ça. Dans mon cas, il y a eu aussi la jalousie un peu de la vie des autres. Je me dis, j’avais 19 et plus de papa alors que tous ceux que je connais, il est encore là. Donc tu te demandes pourquoi ça t’arrive à toi, je pense que beaucoup se demandent « pourquoi nous ? » Et honnêtement, il n’y a pas de réponses.

Et d’un autre côté, y a le côté maintenant où j’ai envie de me battre. J’ai envie d’aider les autres et puis à 19 ans, tu grandis d’un coup. Après maintenant comme j’ai grandi, je préfère l’Emma de maintenant. La vie qu’elle avait avant avec son papa, c’est hyper important aussi évidemment. Souvent, on a peur de les oublier après un certain temps, mais je pense qu’au final le fait d’avoir des épreuves comme ça dans la vie, ça nous forge un caractère, on sait que quoiqu’il se passe, on se relèvera.

Il faut se dire aussi que vivre un suicide, y a le côté extrêmement violent, le côté tristesse, car on a perdu quelqu’un. Mais de l’autre côté pour certains, ça va leur donner des armes différentes parce que quand on perd un parent, on sait que quand ça se reproduira, on saura comment ça se passe oui et non, mais on sait comment y faire face. On sait que la vie n’est pas un long fleuve tranquille où il ne va rien se passer. D’un côté, on a d’autres armes que les autres n’ont pas forcément. Je me dis juste que s’il se passe quelque chose de grave, tu sauras que tu pourras te reconstruire. Mais je souhaite ça à personne. Peut-être que ça peut aider de se dire que d’un côté ça nous arme pour la vie.

Le message que j’aimerais faire passer, c’est qu’il va y avoir des moments très, très durs, qu’il va falloir s’accrocher, mais ne jamais perdre espoir.

Parce que sûrement, que la personne qui est partie aurait voulu qu’on continue de vivre, parce qu’en plus, souvent les personnes qui se suicident pensent qu’ils sont un poids pour les autres. Surtout, il ne faut pas hésiter à se faire aider, c’est pas du tout une honte, au contraire, il faut beaucoup de courage pour se faire aider. Il faut déjà accepter qu’on ait besoin d’aide, ce n’est pas toujours facile.