Le témoignage de Louise
Le frère aîné de Louise a mis fin à ses jours en août 2008, elle nous fait part des choses que le décès de son proche lui a permis d’apprendre.
Mon histoire débute le 19 août 2008, mon frère aîné, âgé de 48 ans s’est suicidé. À l’époque, j’avais 46 ans. On ne se sentait absolument pas concerné par le suicide avant cet événement. Il était assez fatigué par son travail, or, on avait passé dix jours de vacances avec lui et tout s’était bien passé.
Un jour, nous avons reçu un coup de téléphone du maire de la commune de mes parents pour nous annoncer le suicide de mon frère. Mes parents n’ont pas eu la force de me le dire. Ils ont demandé au maire de m’annoncer la nouvelle. On était en état de choc. On ne comprenait pas trop ce qui se passait. Au début, j’étais complètement perdue, pendant plusieurs jours. Ensuite, il a fallu se déplacer à la gendarmerie. Nous avons été interrogés sur ce qu’on pouvait imaginer ce que ça pouvait être, si on le sentait en difficulté, si on le sentait menacé.
C’est très violent et en même temps, je me sentais complètement déboussolée. J’étais vraiment présente parce que je ne voulais rien oublier de tous les petits détails qui pouvaient m’être dit. Ils m’ont expliqué comment ça s’était passé pour me montrer qu’il n’y avait aucune violence. C’était important pour eux de faire une enquête pour voir s’il n’avait pas été sous pression de quelqu’un ou si ce n’était pas un accident, mais surtout si ce n’était pas un meurtre. Ainsi, l’enquête a duré quelques jours.
On se trouve complètement démunis parce qu’on se retrouve avec des affaires qui ne nous appartiennent pas et des affaires intimes telles que des lunettes à moitié cassées. Quelques jours plus tard, il était possible de le voir. C’est sûr, on a pu le faire le plus beau possible. C’était important pour moi de le voir. De même, ça a été très, très important, le moment où ils nous ont demandé de sortir pour justement mettre le couvercle sur le cercueil. Et je n’ai pas voulu. Je n’ai pas voulu sortir. C’était instinctif, mais bon, on m’a laissé faire.
C’étaient des moments intenses. Évidemment, j’ai beaucoup pleuré à ce moment-là. Il a été enterré dans le village de mes parents et sur le chemin pour y aller, j’ai pris son téléphone et j’ai appelé toutes les personnes sur son téléphone. Je pense que c’était très pénible pour mes filles à l’arrière, parce qu’elle m’entendait raconter à chaque fois la même histoire, mais c’était important pour moi de réunir le maximum de personnes, le jour de son enterrement et de le faire comme une fête pour célébrer sa vie, même si c’était une vie très courte.
Pour moi, c’était comme si c’était le dernier moment possible où on pouvait lui témoigner qu’on était là, autour de lui, qu’il n’était pas seul même si lui s’est pensé seul. C’était très dommage parce qu’il était très souffrant et on ne le savait pas. Ainsi, on a fait un enterrement religieux catholique, l’église était archi pleine. Il y a des personnes de son entreprise qui se sont déplacées de Paris. Il y avait beaucoup de monde. Après la cérémonie, ce qui m’importait, c’était d’essayer de comprendre ce qui a pu se passer à son travail pour qu’il le fasse sur son lieu de travail. Ses collègues m’ont dit qu’il avait de la pression, mais qu’ils ne s’attendaient pas du tout à ce geste-là parce qu’il était très apprécié.
D’ailleurs, ça a soulevé plein de sujets comme l’héritage. Pour moi, ça a été un problème d’accepter l’héritage de mon frère. Je me suis dit que cela ne devait pas me revenir. Il pouvait encore avoir une femme, des enfants. Et donc, cet héritage, ce n’était pas à moi de le recevoir. Une fois que cela s’est apaisé justement, je me suis faite aider par rapport au fait d’accepter. Pour la question de l’héritage, il faut aller voir le notaire. C’était aussi quelque chose de costaud, mais c’est faisable. Aujourd’hui, je me sentirais d’accompagner une personne par rapport au notaire. Qu’est-ce qu’il faut faire par rapport aux pompes funèbres ? C’était un des premiers décès que j’avais dans ma vie d’aussi proche.
Par ailleurs, du fait que ce soit sur son lieu de travail, on a pu bénéficier d’un suivi psychologique grâce à l’assurance de son travail. J’ai fait appel à une psychologue et j’ai pu discuter avec elle, ça m’a beaucoup aidée. Mon premier réflexe, c’était de protéger mes parents. Je me suis rendu compte qu’ils ont été très entourés, même si on était là. Mes parents ont exprimé leurs deuils de façon différente. Ma mère, elle a voulu parler de lui tout le temps. Elle a tout de suite mis énormément de photos de lui partout et des photos que lui faisait. Et mon père, lui, c’était tout à fait l’inverse. Il ne voulait pas en parler, pour lui, il était parti en voyage. Donc il n’y avait pas de raison qu’on en parle plus que ça et que dans sa tête, il faisait comme si un jour, il allait revenir. Donc, c’était quand même l’opposé, ils ont eu quelques difficultés pendant un temps ensemble. Néanmoins, leur médecin traitant, les a beaucoup rapprochés. Il a été vraiment exceptionnel.
Je devais aussi m’occuper de mes filles, je leur ai proposé le soutien psychologique, elles étaient libres de choisir. À l’époque, j’en avais une qui avait 18 ans, l’autre 16 et puis la dernière 13 ans. Mon mari était très présent pour elles. J’avais confiance en mon mari par rapport à ça. Elles ont chacune réagi à leur façon. En tout cas, je n’avais pas la force. Je ne savais pas comment m’occuper d’elles. J’étais tellement mal que j’ai fait confiance à des personnes, des intervenantes pour les aider.
Quand j’y repense, à la gendarmerie, j’aurais aimé, peut-être qu’on me dise qu’il y avait des associations ou des psychologues qui pouvaient m’aider pour gérer ce moment-là parce que ce sont eux qu’on voit en premier, ce sont eux qui nous préviennent. L’agent que j’ai vu était super. Il était compatissant. J’étais en état de choc. Il m’a laissé le temps, il a été très doux dans ses propos et en même temps, peut-être que j’aurais aimé aussi que quelqu’un m’oriente ou qui me donne un numéro de téléphone pour me dire si vous voulez en parler, si vous vous sentez démunie, vous pouvez parler là.
C’est suite à cela, que je me suis intéressée aux comportements, aux difficultés, comment on pouvait traiter nos propres difficultés. J’étais quand même dans l’aide et l’accompagnement de la personne de par mon métier. Et c’est vrai que ça m’a ouvert l’esprit en disant, mais en fait ce n’est pas nous qui décidons. Finalement, il y a quelque chose qui s’enclenche et le mal-être est tel que la personne n’est plus elle-même. Et ce n’est pas une décision sereine et claire qu’elle fait, mais elle se laisse embarquer dans quelque chose et qui finalement la fait tellement souffrir qu’il n’y a qu’une solution pour elle. Ça a vraiment été une révélation par rapport à mon frère. Je l’ai pris pour moi aussi parce qu’on se ressemblait beaucoup : physiquement, et on se ressemblait beaucoup dans notre façon de penser. On n’avait pas besoin de se dire les choses, on les avait tout de suite compris. On faisait les mêmes choses au même moment.
J’ai commencé à travailler sur moi avant tout pour mes filles. J’avais un stress intérieur, mais que je ne savais pas. En fait, je ne savais pas extérioriser. J’ai eu besoin d’aide. En fait, pour ça, c’est des personnes que j’ai rencontrées : des thérapeutes, des médecins ou une kinésiologue qui m’ont fait prendre conscience que j’étais hyper calme à l’extérieur alors qu’à l’intérieur, j’étais complètement terrorisée. Et ça, c’est quelque chose qui m’a été révélé par ce suicide. Mon frère était hyper calme à l’extérieur. Il était toujours bienveillant et en fait, j’ai découvert que vis à vis de lui, il était très, très exigeant, voire hyper exigeant. En vidant son appartement, on a découvert effectivement, un cahier dans lequel il écrivait des choses et il était très, très, exigeant envers lui.
Ainsi, le point qui était super important et qui m’a été révélé par rapport à cette histoire, c’est qu’on n’est vraiment pas tolérant. Je n’ai pas du tout été tolérante avec moi et je pense que lui n’a pas du tout été tolérant avec lui-même, c’était tellement violent pour lui qu’il n’a pas su trouver de solution.
Mais, c’est vrai que ce n’est pas évident à dire, on a des jugements énormes à l’intérieur de nous. C’est carrément le jugement qui est à l’intérieur de nous, qui nous fait faire des choses, qui pour nous, sont les plus douloureuses, en voulant protéger les autres, soi-disant, mais au final, on ne les protège pas du tout parce que si au final c’est le suicide, on ne protège personne. Je trouve que la phrase « prenez soin de vous» ce n’est pas anodin. Finalement, on n’a pas tant appris à faire ça. On ne sait pas faire.
De nos difficultés, de notre mal-être, on peut en faire une opportunité pour rebondir et puis pour apprendre des choses différemment, pour progresser.
Quand on est en difficulté, il faut en parler. Moi, mes filles, je leur conseille aujourd’hui d’aller voir une personne qui va leur permettre de leur faire du bien. Donc, un médecin ou peut être un thérapeute, peut-être faire du sport, peut-être faire quelque chose qui leur permette justement de dégager cette difficulté-là
Quand j’en parle, j’ai besoin d’en parler à des gens neutres pour ne pas les faire souffrir, pour ne pas alerter mes proches. Et puis même parce que j’ai honte d’en parler, peut-être parce que je ne comprends pas ce qui se passe pour moi. Je préfère ne pas en parler parce que je ne sais pas trop comment ça peut se passer. Donc je pense que c’est ce message là, ce que ça m’apprend, c’est que ce qui se passe en nous, il n’y a pas avoir honte. Il faut au contraire demander de l’aide. Bien sûr qu’on en pleure. Bien sûr qu’on est touché. Et bien sûr qu’il y a des moments où, émotionnellement, il y a des larmes qui arrivent, c’est sûr. Mais en même temps, je dirai que ça m’a encore plus ouverte à la vie.
En fait, on peut être la meilleure amie comme la pire ennemie de nous-mêmes. Et c’est ça que j’ai appris et qu’il y a des professionnels qui nous aident par rapport à ça. Aujourd’hui, je me sens d’être une professionnelle. Je me sens prête aujourd’hui.
J’ai lu, il n’y a pas très longtemps le livre « après le suicide d’un proche ». Je l’avais toujours avec moi depuis 5-6 ans, mais je l’ai lu, il y a un an. A ce moment, j’ai découvert effectivement qu’il y a tout un processus que je n’imaginais pas. Et en fait, j’ai expérimenté ce processus. Je me suis vraiment retrouvée dans ce livre. Et c’est vrai qu’à la fin, qu’est-ce que cette expérience de vie nous apporte ? Elle nous apporte la possibilité de voir. Alors, je ne sais pas comment on peut dire ça, de nous élever effectivement à autre chose, de nous élever à la vie, de voir la vie différemment et de la voir plus solide et plus importante, de voir que l’on peut en faire quelque chose nous-mêmes, que ce n’est pas quelque chose que l’on subit.