Le témoignage de Marion
Marion avait 6 ans lorsqu'elle a perdu sa grand mère par suicide. 20 ans plus tard, elle a perdu sa tante par suicide.
Ma grand-mère maternelle et la jumelle de ma maman se sont suicidées, la première lorsque j’avais 6 ans, la seconde lorsque j’avais 26 ans. L’une était maniaco-dépressive, l’autre bipolaire.
J’ai eu l’impression que le suicide était contagieux et faisait peur aux autres, plutôt que de nous soutenir, ils prennent peur. Je porte éternellement en moi la marque de leur geste et j’essaie d’accepter, pas le choix en gardant dans mon coeur, avec le temps, les bons souvenirs et les regrets de ne pas avoir été plus douce, notamment avec ma tante, que je ne comprenais pas.
Pour ma grand-mère, j’étais petite, je n’ai pas compris, son décès a plané sur ma vie comme s’il n’avait pas eu lieu par suicide. On n’en parlait pas. Ensuite, ma tante a mis fin à ses jours laissant deux enfants, en mars, comme sa mère et c’était la période de l’anniversaire de ma mère. Soutenir ma mère a été pour moi un moteur incroyable, j’ai minimisé ma peine et mon choc. J’ai suivi une thérapie et eu des pensées noires, me demandant si c’était transmissible. Si on allait pouvoir sortir de la malédiction. J’ai étudié la question, prix du recul, lu Camus, et des essais sur l’histoire du suicide et le suicide.
J’ai voulu comprendre que c’était un sujet global, je voulais comprendre le geste. Car sauf la maladie, je ne comprenais pas que l’amour ne pouvait pas les sauver. Et je ne pouvais pas comprendre nos blessures. Je ne les comprendrais peut-être jamais, j’essaie. La souffrance est telle et la peur que cela se reproduise me font peur. Le sujet revient souvent depuis ma tante.
Même 20 ans après, ou 5 ans après, cela n’enlève rien au chagrin, au choc, on apprend à vivre avec une nouvelle donnée sur l’humanité, et on se sent parfois très seul. A qui en parler ? A qui se confier ?
J’aimerais le crier sur tous les toits pour être consolée et rassurée, mais il n’y a personne, sauf ma famille et nous sommes tous pudiques. Nous n’en parlons pas. Je voulais rendre hommage à ces deux femmes qui ont malgré tout lutté contre la maladie et des traumatismes et je me suis intéressée aux causes possibles. Je cherche encore, je veux donner du sens à quelque chose qui n’en a pas forcément. Mais cela a changé ma vie, mon rapport aux autres et à l’amour. Je suis plus attentive à la douleur d’autrui, je suis plus généreuse, je donne de ma personne quand je peux, mes cheveux, mon sang, car j’aimerais pouvoir sauver, peut-être que cela comble le fait qu’on ne pouvait pas les sauver, ma grand-mère et ma tante.
Je fais toujours attention, je suis angoissée… les cauchemars sont là, mais il y a aussi les rêves où je les revois, souriantes, câlines, comme une réparation. C’est très particulier et le deuil me semble presque impossible, le temps passe, la douleur est moins vive, mais tout reste là, avec l’impression pénible que c’était hier. Et je témoigne, alors que ce n’est ni ma mère, ni mon fils, que je suis seulement la nièce ou la petite-fille. Mon deuil et mon chagrin me semblent secondaires à celui des enfants ou des frères, des soeurs, ou compagnons. Pourtant, il est bien là, mais je pensais surtout aux autres. Et le site ESPOIR et celles et ceux qui participent à la sensibilisation autour du suicide (que je ne connaissais pas) vont m’aider dans cette nouvelle étape de ma vie. Pour ne pas reproduire, pour souffler un peu, panser mes plaies, et comprendre les mécanismes qui se sont actionnés en moi.