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Le témoignage de Natacha

Le témoignage de Natacha

Natacha avait 28 ans quand elle a perdu son compagnon par suicide durant l’automne de l’année 2018.

Cette année-là, on va dire que l’été joue un peu les prolongations, c’était une très belle journée ensoleillée, nous n’étions pas encore dans l’approche un peu nostalgique de l’automne. J’étais au travail et j’avais hâte d’être au soir pour retrouver mon amoureux. Nous avions prévu de se balader et de faire ensemble une séance de yoga. Je me souviens d’une journée assez chargée, j’avais besoin de l’appeler, mais hélas, je n’ai pas eu le temps. J’avais envoyé un message et je n’ai pas reçu de réponses, je ne me suis pas plus inquiétée. Le soir venu, en partant du travail, je lui téléphone et je ne tombe pas sur lui au téléphone et à cet instant, on m’annonce que Romain est décédé, qu’il s’est suicidé.

J’ai eu l’impression que le monde s’arrêtait, j’ai eu tout un amas d’émotions. Tout de suite, on s’imagine que tout est fini, qu’on voit son passé terminé, qu’on a plus de futur. C’est un peu son monde qui s’écroule. Je savais que c’était vrai, on m’a dit les mots, j’entendais les mots, mais je ne voulais pas le croire. Pour autant, je savais que c’était arrivé.

La première et la deuxième année ont été ponctuées d’énormes vagues de tristesse. Je pense que j’ai pleuré tous les jours. Au début, ça me prenait peut-être toutes les 2 heures, toutes les 3 heures. Ça arrivait à n’importe quel moment : en voiture, au travail. Je n’avais pas vraiment de déclencheur, ça pouvait être une simple musique, une simple phrase. Je ressentais l’absence au quotidien. C’était vraiment dans ma chair, c’était au plus profond de mes cellules, je ne sais pas comment le décrire, mais c’était vraiment un manque profond. Il me manquait quelque chose pour vivre, pour respirer, c’est assez terrible.

Parfois, j’arrivais quand même à me ressaisir, je me disais que ça serait terrible s’il me voyait dans cet état. Je ne peux pas rester aussi mal, il faut que j’aille de l’avant, il faut que je me ressaisisse, car il n’aurait jamais voulu me voir avec une telle souffrance.

C’était le chagrin à l’état pur, j’étais vraiment épuisée. Je me posais plein de questions. Le deuil de son amoureux qui s’est suicidé, c’est beaucoup de questions envahissantes comme par exemple « qu’est-ce que j’aurais pu faire en plus pour que ça n’arrive pas ? Et si j’avais appelé ce matin-là ? Et si je lui avais envoyé un message pour lui dire que je l’aime ? Si on s’était vu ? ».

Pendant longtemps, je me suis ressassé cette scène, si j’avais été là, si la veille au lieu d’aller faire mon sport, on avait passé la soirée ensemble, ça aurait peut-être changé quelque chose. C’est ça qui est difficile en fait, c’est toutes ces questions « Et, si ? ». Je pense que pendant la première et la deuxième année, on est vraiment dans ces questionnements constants et c’est hyper fatigant. On a l’impression qu’on ne va pas en sortir, il n’y a rien qui vient soulager la peine. Ce qui m’a maintenu la tête hors de l’eau, c’est que j’ai été très rapidement suivi par une psychologue.

Nous avons fait la cérémonie, 7 jours après son décès, j’ai ressenti le besoin de contacter quelqu’un. On m’avait donné le numéro de téléphone d’une psychologue. J’ai appelé, j’ai expliqué ce qui venait d’arriver. Je pense qu’au départ, c’était vraiment d’un grand soutien de pouvoir parler à quelqu’un qui ne me connaissait pas, qui n’avait pas de liens avec moi, qui n’avait pas d’affects pour moi. C’était très aidant de pouvoir dire tout ce que je ressentais, j’avais l’impression de répéter la même chose, j’étais en boucle sur le même questionnement.

C’est vrai que les premières semaines on a beaucoup de gens autour de soi, la famille, les amis. Tout le monde essayait de faire au mieux pour me réconforter. Mais pour moi, c’était assez dur  d’entendre des phrases assez banales, assez bateaux telles que « ça va aller mieux, tu vas t’en remettre, faut aller de l’avant ». C’est des phrases qui m’horripilaient, je ne pouvais pas entendre ce genre de phrase. J’étais en train de me dire, mais l’homme que j’aime vient de mourir. On était ensemble depuis 8 ans. J’avais imaginé ma vie future avec lui, peut-être avoir probablement des enfants avec lui, en tout cas, je voyais ma vie avec lui.

C’est pourquoi, j’ai eu besoin d’être seule pendant très longtemps, mais en même temps j’avais tout de même besoin de voir du monde. J’ai eu besoin de me recentrer sur moi-même. C’est comme ça que j’ai commencé à prendre des cours de yoga.

Une autre chose qui m’a beaucoup aidé, ce sont les témoignages trouvés sur internet. J’ai lu énormément de bouquins, j’ai beaucoup écouté  Christophe Fauré. En 2018, je trouve qu’il n’y avait pas encore tant de choses sur le suicide. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai vécu un suicide et que j’ai l’impression qu’on a beaucoup avancée en 4 ans ou c’est vraiment parce qu’on a effectivement beaucoup avancé.

Après le décès de mon compagnon, j’ai également beaucoup écrit peut-être tous les jours pendant les premières semaines. Au fil du temps, j’ai écrit, seulement quand j’en ressentais le besoin. Ça m’a permis de décharger ma peine et de pouvoir dire tout ce que je n’ai pas pu dire à Romain et tout ce que je n’arrivais pas à dire à mon entourage. Et maintenant, j’ai tendance plutôt à lui raconter ma vie, je lui raconte mes rencontres, ce qu’il se passe dans ma vie.

Je pense que la troisième année, je suis vraiment revenue dans le monde des vivants. Je pensais toujours à lui à chaque seconde, mais y avait un léger mieux, je ne pleurais plus tous les jours. J’ai commencé aussi à m’ouvrir un peu plus aux autres. J’ai recommencé à vivre pour moi, je me suis faite de nouveaux amis. J’ai recommencé à faire des choses. J’ai rencontré quelqu’un, j’ai entamé une nouvelle relation, mais il y a toujours quelque chose qui n’était pas revenue comme avant.

Je commençais à voir que j’avais des moments où je me sentais mieux, où je ressentais un peu de joie, où je commençais à avancer, qu’il y avait un peu d’amour en moi qui revenait. Et ça, c’était quelque chose que j’avais quand même du mal à intégrer. J’avais l’impression de laisser partir Romain et c’était quelque chose de difficile. C’est vrai que l’accompagnement avec la psychologue à ce moment-là, ça m’a permis d’accepter toutes les émotions qui nous traversent et de me dire que c’est normal, qu’il y a un cheminement et qu’il faut l’accepter. Maintenant, ça fait 3 ans et demi que Romain est décédé.

Je pense que maintenant, je peux dire que j’ai retrouvé quand même le goût de la vie. Pour moi, le goût de la vie, c’est le goût des petites choses du quotidien, mais qui sont vécues pleinement. Ça va être des choses toutes bêtes comme apprécier de faire de la randonnée. C’est être pleinement présent dans l’instant, je pense que s’il y a autre chose qui m’a beaucoup aidé, c’est que j’aime beaucoup marcher. J’ai l’impression que la marche m’a remis d’aplomb.

En fait, j’aurais vraiment aimé partager d’autres moments de vie avec Romain, mais je pense que maintenant, je suis vraiment quelqu’un d’entier. Je suis libre d’être moi-même, seule, sans lui, mais libre d’être vraiment qui je veux vraiment être. Il fait partie de moi. Je pense que c’est un peu ça le message, c’est qu’il n’est plus là, mais pour autant, j’ai l’impression qu’il m’a donné une grande liberté sur la vie que je veux vraiment, sur qui je veux être, sur ce que je veux faire de ma vie.

Je pense qu’avec le recul, ce n’est pas mal de ressentir un moment de joie, ce n’est pas mal de passer du temps avec une autre personne et de rentrer chez soi et de se dire « j’ai passé une bonne journée ».

C’est quelque chose qui est dur à accepter au départ parce qu’on voudrait rester dans la tristesse de se dire « j’ai perdu une personne que j’aime, je n’ai pas le droit d’être heureuse ». Je pense qu’il faut s’autoriser à vivre pleinement ces émotions et que c’est normal.

Maintenant, je me donne la place de vivre pour moi et quand j’ai besoin, je sais retrouver Romain grâce à des petits rituels. Ça peut être à des dates clés, à son anniversaire, à la date de son décès, peu importe le moment, il y a des petites choses que je fais. Par exemple, la première année, je sais que tous les mois, j’achetais un bouquet de fleurs le jour de son décès.

J’ajouterai pour finir que ça fait du bien aussi, en tant que personne endeuillée de pouvoir raconter ce qui s’est passé et de se dire que mon expérience de vie va peut-être aider quelqu’un d’autres et j’espère que ça sera le cas.