Le témoignage de Sylvie
Sylvie a perdu sa fille à la suite d'une dépression post-partum mêlé à un burnout. Elle nous raconte son histoire.
Je suis la maman de trois filles, dont Monica, la deuxième de la fratrie. Il y a quatre ans, elle a mis fin à ses jours. Elle avait 29 ans. Elle a eu un bébé le 12 janvier, et un mois et demi après elle ne se sentait pas bien. Visiblement ce mal-être était dû à ses employeurs. Elle était professeure de danse dans une association de notre ville d’origine. On a eu le sentiment que tout s’est déclenché à partir du moment où elle a demandé à présenter son bébé aux danseuses de l’association. On lui a dit que ça dérangeait, que ce n’était pas le moment parce qu’il y avait le gala. Elle a eu l’impression d’être rejetée, incomprise. Voilà, ça a été le début d’une dépression profonde, ça a été le déclencheur. Je pense que c’était sur un contexte de dépression post-partum. On l’a vu dégringoler. On était vraiment plus concentré sur ce problème de travail, de négation de sa nouvelle identité de maman.
Le vendredi soir, elle est allée au gala avec son mari. À la fin de la séance, quand la lumière s’est allumée, les élèves l’ont vu parmi les spectateurs, ils se sont mis à l’applaudir, à scander son prénom. Et visiblement, cela n’a pas plu à sa remplaçante. J’ai toujours du mal en le racontant, outre les effets dramatiques, ça me semble tellement incroyable comme réaction, de lui en vouloir parce que les élèves l’aimaient. On ne lui a jamais dit, en fait, en quoi son travail était intéressant. Monica, c’était quelqu’un de très attentif aux autres, qui faisait une place à chacun, qui était très à l’écoute, qui connaissait les parents de ses danseuses, qui connaissait les danseuses, évidemment, qui s’investissait dans son travail, qui était très créative. Et je pense, elle qui écoutait tout le monde, nous, on ne l’a pas écoutée quand elle a dit que ça l’avait blessée qu’on refuse qu’elle présente son petit garçon. On n’a pas pris en compte sa douleur donc elle s’est enfoncée dans la dépression. Ça a duré jusqu’au petit matin du 13 juin, où elle a mis fin à ses jours. Après le décès de Monica, on a pris conscience qu’il n’y avait aucune compréhension de son vécu de la part de ceux qui l’avaient blessée. Et donc, on a décidé de déménager, de prendre le large.
Avec le recul, le suicide, c’est quelque chose de très culpabilisant. On cherche tout ce qui a pu amener à là.
En plus de la culpabilité, on a le sentiment d’avoir laissé faire d’une certaine manière, des choses qu’on aurait dû voir, sur lequel on aurait dû agir. Mais bon, j’ai toujours laissé la liberté à mes enfants de leurs choix professionnels. Je regrette infiniment de ne pas avoir été plus abusive et autoritaire et qu’elle ait pu faire sa vie professionnelle ailleurs. Je pense qu’effectivement, le fait d’avoir eu un enfant, elle était fragilisée, mais qu’il y avait sans doute une sorte de burnout professionnel derrière ça, qu’elle n’a peut-être pas saisi.
Je n’aurais jamais imaginé souffrir autant et être aussi exposée et je prends toujours la comparaison du grand huit en fait, parce que juste après, j’ai eu le sentiment de passer par des sentiments très, très forts en quelques secondes. C’était tout d’un coup la détresse, la colère, etc. Et avec le temps, les vagues du grand huit sont toujours les mêmes, mais je sais comment je fonctionne. Du coup, je sais qu’il va y avoir des moments plus paisibles et des moments plus difficiles. Dans les moments difficiles, je fais le dos rond. J’essaie de récupérer ou de reprendre des forces, de m’amuser, de profiter du moment paisible qui se présente. Donc ça, c’est vrai qu’avec les années, le grand huit, on l’apprivoise un peu, ça n’empêche pas la douleur, l’absence, la difficulté, etc. Mais, il me semble que je sais mieux maintenant ce qu’il faut que je rajoute dans ma vie pour aller mieux, ce qu’il faut que j’évite pour ne pas sombrer. Le rapport aux autres est différent. J’ai sorti de ma vie toutes les personnes qui ne me font pas de bien. Puis effectivement, les gens qui n’ont pas pu gérer ça. Pour eux, c’était trop compliqué la mort de Monica donc ils ont préféré fuir. On ne peut pas leur en vouloir. Et puis, il y a ceux qui savent tout et qui vous expliquent comment il faut faire cela. Je prends de la distance avec eux. Par ailleurs, j’ai été frappée par des réflexions sur « Ah tu ne pleures pas, ah finalement, tu pleures trop ». J’ai trouvé que la pression sociale, c’est un truc à fuir, on entend énormément de bêtises.
Et après, il faut vivre avec un petit-fils qui pose des questions « pourquoi maman est morte ? Pourquoi on ne peut pas la voir ? ». Il a 4 ans, ça fait partie de sa vie. Il comprend avec ses yeux de 4 ans. Donc ce qu’on a essayé de lui expliquer, c’est la différence entre morts et vivants. Il n’a pas de maman et ça, c’est hyper questionnant. C’est à nous de gérer ça et c’est terrible. C’est dur de voir la détresse des autres, de vivre son chagrin et le chagrin de ceux qui nous entourent. Mon autre gendre qui ne l’est pas officiellement, a rencontré quelqu’un. Il est en train de reconstruire quelque chose, on trouve ça super. Il faut vivre ça au quotidien et ce n’est pas évident. Et puis, chacun à sa façon aussi de l’exprimer. C’est sûr que les dates anniversaires, il faut s’y préparer, c’est difficile.
Ce qui m’a beaucoup aidée, ce sont mes amis, mon mari évidemment bien qu’on ne vit pas les choses de la même façon. Il a fait une dépression importante l’année dernière. Mon mari était déjà suivi, il a continué tandis que moi, j’ai été suivi pendant un an par un psychologue et puis au bout d’un an, j’ai senti que je répétais toujours les mêmes choses comme l’impression d’être un rat dans une cage qui cherche et qui ne trouve pas d’issue. Et donc, par la suite, j’ai vu quelqu’un qui pratiquait l’EMDR (Désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires). Suite à notre déménagement, on a un nouveau médecin traitant qui est le meilleur médecin du monde en toute objectivité. Il est très compétent et très respectueux. Justement, je n’ai jamais entendu dire une bêtise par rapport au deuil, ce qu’on peut vivre et au contraire, il est très attentif, mais sans être intrusif. C’est vraiment un type extraordinaire donc ça, c’est très aidant aussi.
Je sais également que le fait de côtoyer la nature d’une manière générale, d’aller vers les éléments : la forêt, l’eau qui coule, qui cours, l’eau vivante plus que l’eau stagnante. C’est quelque chose qui m’apporte un peu de paix. Je sais que si je marche ne serait-ce qu’une heure, ça me fait du bien, ça décharge les tensions aussi. Mes petits-enfants aussi, c’est parce que quelque part avec les petits enfants, on est obligé, entre guillemets d’aller pas trop mal. Ainsi, c’est le fait de s’obliger à ne pas aller trop mal et puis leurs amours, leurs mignonneries. Effectivement, ça fait du bien. J’ai mes deux autres filles. Alors parfois, c’est un peu troublant parce que je peux les voir un weekend, par exemple, et en fait le lundi, je vais avoir le moral dans les chaussettes parce que je remarque encore plus l’absence, donc c’est paradoxal. Mais qu’est-ce que ça me fait du bien et en même temps ça me fait du mal. Mais autrement, ce dont j’ai pris conscience aussi, c’est que finalement pour aider quelqu’un qui est en dépression, des choses aussi basiques que la marche, la nourriture, l’exercice physique, tout ce qui fait partie du petit train-train quotidien et l’hygiène de vie, c’est d’autant plus important. Je pense que si on réfléchit, elle a eu une dépression entre février et juin, on va dire que ce ne sont pas les mois les plus faciles.
D’autre part, je pense que ce qui m’a beaucoup aidée, c’est le bouquin de Christophe Fauré, car il explique toutes les étapes et en fait moi, j’avais besoin de savoir ce qui m’attendait. J’étais vraiment dans une position d’affronter ce qui allait arriver. J’ai cherché un groupe de soutien, mais je n’en ai pas trouvé dans le coin, à part Pierres Vivantes, mais qui se trouve complètement au nord du département et du coup, c’était vraiment loin de moi pour quelques heures par mois.
J’ai pris un arrêt de travail. J’étais animatrice en EHPAD, animatrice de vie sociale, mais j’étais en incapacité de travailler. Ensuite, j’ai pris une disponibilité et j’ai réussi à travailler y a pas très longtemps, je me suis rendue compte que je n’étais absolument pas en mesure de m’occuper de gens fragilisés. C’est le cœur de mon métier. En fait, je n’ai pas donné suite et puis j’approche les 59 ans cette année. J’essaie petit à petit de faire aussi un deuil professionnel.
Je crois que ce qui m’a été aussi d’une grande aide, c’est prendre conscience que ma colère est légitime et qu’il y a des raisons à ma colère que peut-être ma colère, au départ, elle m’a aidée à survivre. Mais qu’elle est là, qu’elle est légitime, que je pense que je serai toute ma vie en colère puisque voilà, on a fait du mal à mon enfant. Et l’accepter comme telle même si la colère ressentie, c’est quelque chose de compliqué à gérer. J’ai le droit d’être en colère parce que la situation est inadmissible. En fait, ça aide de juste dire « je suis en colère ».
J’ai l’impression que c’est presque une injonction de notre société d’aller bien. Et en fait, on empêche l’expression du chagrin et de la douleur. La société qui nous entoure espère qu’on aille bien parce qu’ils espèrent pour nous le meilleur. On range notre chagrin dans un petit coin parce qu’ils ne peuvent pas l’encaisser. C’est en ça que mes amis, pour moi, ils ont été essentiels puisque justement, ils ont écouté. C’était douloureux pour eux, mais ils ont quand même écouté. Ils ont quand même été présents. C’est vraiment essentiel d’être écoutée.
J’ai pris conscience qu’on n’entend jamais parler de suicide. Donc là, il y a un manque évident d’information. Mais je pense que malgré tout, il y a sans doute une information à faire passer. Par exemple, ce qu’a fait Stromae, je trouve que c’est typiquement ce qui doit être fait à plein de niveaux. C’est vraiment dire son expérience personnelle, et puis avoir un message « il ne faut pas rester seul par rapport à ça ». Et effectivement, Monica, c’est quelqu’un de discret.
J’ai été sidérée après des semaines d’apprendre de la bouche de mes amis intimes, qu’elles ont un jour dans leur vie, pensé au suicide. C’est quelque chose dont on n’avait jamais parlé. Par ailleurs, je pense qu’on devrait prévenir, par exemple, toutes les femmes enceintes que si elles ont eu un épisode dépressif dans leur vie, il faut absolument le dire et avoir une vigilance particulière. La représentation de la maternité dans notre société, c’est tout beau, tout rose. On ne se préoccupe pas de tout ce qui se passe autour. Il y a des trucs comme ça sur lesquels on ne prévient pas et qui peuvent être traumatisants, peut-être plus traumatisants pour les jeunes mères d’aujourd’hui parce qu’elles vivent dans une société donnée.
Alors après, on est très savant finalement quand la mort est arrivée, on a beaucoup entendu parler, lu, vécu et du coup, on est savant et on aimerait bien avoir ce savoir avant. Je ne sais pas si c’est possible en fait. Comment peut-on faire pour faire entendre tout ça à quelqu’un qui n’a pas envie d’entendre, de parler de la mort, de la souffrance, etc. Et puis peut-être apprendre aux enfants à se méfier des milieux où ils ne se sentent pas bien. Il y a une phrase que j’ai lue il n’y a pas très longtemps, c’est « quand une fleur dépérit, ce n’est pas la fleur qu’on change, c’est son environnement, on la déplace, on va la mettre plus au soleil, plus à l’ombre ». Quand on ne se sent pas bien avec quelqu’un. On doit se faire confiance. C’est qu’il y a quelque chose qui cloche.