Le témoignage de Valérie
Valérie nous livre son histoire, elle a perdu son fils par suicide en 2018. Son combat, c’est de faire entendre la voix des personnes endeuillées par suicide.
Il y a 4 ans, le 2 mai 2018, j’ai perdu mon fils par suicide. Mon fils avait des troubles psychiatriques. Je l’ai fait hospitaliser une première fois pendant 15 jours, c’était dû aux stupéfiants. À la fin de son hospitalisation, on m’a dit qu’il était sevré. Je sentais qu’il n’allait toujours pas bien néanmoins comme mon fils était majeur, en tant que parent, on ne peut rien faire s’il ne veut pas être suivi, je ne peux pas l’imposer. Sauf qu’au bout de 9 mois, j’ai été obligée de faire une ré-hospitalisation d’office qui était très compliquée car il délirait complètement. Il se croyait dans « Truman Show ». On était seul avec le désarroi de notre enfant et complètement paumé dans la nature. Au bout de 2 mois et demi, mon fils est ressorti avec un traitement assez lourd sans pour autant avoir beaucoup d’explications. Plus tard, on a appris l’existence de l’organisme UNAFAM (Union Nationale des Amis et des Familles des personnes malades et/ou handicapées psychiques) qui propose un soutien aux parents d’enfants ayant une maladie psychique. C’était très compliqué quand on est seule face à une maladie psychiatrique où on ne connaît rien. On est obligé de faire confiance au psychiatre parce qu’on n’est pas du métier. On est tout seul et c’est très dur pour l’entourage autant pour les frères et sœurs que pour les parents, pour le motiver aussi, pour qu’il reprenne une vie d’activité assez normale. On avait réussi, je pensais parce qu’il avait retrouvé un CAP, on pensait que ça allait mieux. Il nous montrait que ça allait mieux sauf qu’il y a de temps en temps où je voyais bien qu’il n’était pas là, ce n’était pas lui. Avec mon mari, on a décidé de s’octroyer des vacances au Maroc parce qu’on était épuisé. Il a attendu qu’on parte pour mettre fin à ses jours. Ça été très compliqué, du coup on a pris l’avion en catastrophe pour revenir, ensuite, il fallait faire les démarches à peine arrivés. Je ne comprenais pas déjà ce qui arrive, pourquoi il en est arrivé là, pourquoi il a fait ça. On ne s’y attend pas et quand ça vous arrive, vous avez l’impression que c’est irréel et on ne sait pas comment il faut faire, qu’est-ce qu’il faut choisir, choisir le cercueil, choisir l’intérieur du cercueil, la cérémonie, les chansons.
On ne nous laisse pas le temps de réagir, la société nous impose de faire des démarches tout de suite derrière alors que nous, on ne comprend pas déjà ce qui arrive, mais il faut y penser malgré tout. Heureusement qu’il y a eu mon mari qui était là parce que toutes les démarches administratives, j’étais incapable. Je suivais, j’ai juste été là pour signer les papiers, j’étais une marionnette. Ma famille était là jusqu’à l’enterrement. Mais la famille proche ne sait pas quoi faire donc on se sent souvent isolé par rapport à ça, alors je ne leur en veux pas du tout parce que moi-même, j’aurais été à leur place, je ne saurais pas comment faire, mais c’est vrai que nous dans cette situation, on a vu beaucoup de monde qui est parti déjà et la proche famille qui ne savait pas comment gérer notre désarroi face à cette situation.
Ma fille a fait une TS (Tentative de Suicide) également quelque mois après parce qu’elle se sentait responsable donc c’est très compliqué pour une maman de voir son deuxième enfant en pleine souffrance et c’est à ce moment-là que je me suis dit « je suis qui pour dire à mes enfants d’avancer alors que moi-même je n’avance pas ». C’est ce jour-là que j’ai décidé de reprendre le travail pour montrer l’exemple à mes enfants et c’est ce que j’ai fait. Donc j’ai eu que mes enfants, mon mari et ma meilleure amie qui était là tous les jours. J’ai eu énormément de soutien de mon mari et je l’ai toujours même si il y a des hauts et des bas et d’une amie qui est plus qu’une amie et qui était là tout le temps, du matin jusqu’au soir. J’ai retrouvé aussi un peu d’aide grâce à une association de parents endeuillés où j’ai pu téléphoner et j’ai failli raccrocher. La dame est venue directement à la maison, ce qui a pu m’aider. On est allé également en réunion, y avait d’autres parents, on a sympathisé avec d’autres parents. On a réappris petit à petit à pouvoir ressortir parce que pendant les moments de réunion, il y avait aussi des soirées qu’on passait, c’est-à-dire ressortir au restaurant, ressortir dans un café et apprendre à s’autoriser de pouvoir être sur une terrasse, de boire un verre ou aller au restaurant ou de faire un bowling. On a réappris à vivre tout ça parce qu’il y a un avant et un après. Et je peux dire qu’on a complètement changé d’orientation. J’ai suivi une formation de sophrologie déjà pour pouvoir m’aider moi-même parce qu’on essaie par tous les moyens de s’aider parce qu’on est seul, seul face à notre tristesse parce que chacun est différent.
On évolue différemment que ça soit les enfants, que ça soit les maris. On ne vit pas le deuil en même temps et au même degré donc il faut rester unis. On a de la chance, j’ai de la chance d’avoir une famille où l’on parle beaucoup et c’est ça qui nous unit et qui nous rend plus forts. Après la vie continue comme on dit, mais Jules est dans notre cœur tout le temps. Le matin, il est dans mes pensées jusqu’au soir. On essaye de vivre différemment parce qu’on ne vivra jamais comme avant, c’est fini. Il faut faire le deuil de notre enfant et il faut également faire le deuil de notre vie d’avant, car notre vie d’avant n’existera plus.
C’est vrai que notre regard sur la société a changé également, c’est-à-dire que celui qui se victimise tout le temps, qui a toujours un petit bobo. J’ai envie de lui dire « Oh ! Tu respires, tu es en vie, c’est déjà un miracle donc profite de la vie ». Ma conviction, c’est maintenant de vivre au jour le jour. Je ne sais pas ce que demain est fait donc je vis au jour le jour. Aujourd’hui, j’avance d’un pas, alors au début on avance d’un pas et puis après on en recule de trois voire de quatre et puis on ré avance d’un pas. On a l’impression de faire du surplace mais ce n’est pas grave. On prend le temps, chaque personne est différente, il faut accepter que le monde ne se soit pas fait en un jour et le fait d’avancer dans cette épreuve ne se fera pas en un jour. Aujourd’hui, je peux aller bien et ça se trouve dans trois jours, je serais au fond du trou mais maintenant je m’octroie à n’être pas bien aussi parce qu’on a une famille, généralement on se dit, il ne faut pas que je pleure pour les enfants ni pour le mari parce que s’ils ne me voient pas bien, eux ils ne sont pas bien et c’est un cercle vicieux et on ne s’autorise pas à être pas bien. A l’heure d’aujourd’hui, je m’autorise à être pas bien. Je m’autorise aussi à être bien et ce n’est pas parce que des fois je rigole, que je retrouve également mon âme d’enfant, que je ne pense pas à Jules.
J’ai décidé d’écrire un livre afin de dévoiler mon histoire. Ce qui m’a motivé c’est le fait qu’il y ait un manque de témoignages. J’avais besoin aussi de poser mes mots sur mes maux. J’avais besoin d’externaliser parce que c’est un tsunami quand ça vous arrive. Dans mon livre, je remercie également mon mari d’avoir été à mes côtés et de me mettre des paillettes dans la vie malgré que la vie soit compliquée.
Une autre chose importante c’est qu’il faut avoir le respect aussi des autres personnes et ça, ça se perd à l’heure actuelle. Le jugement, le fait que mon fils, oui il a fumé des joints pour faire comme tout le monde, comme les jeunes. On se dit « Ouah, ça arrive aux autres les problèmes de joints, c’est du n’importe quoi, on ne reste pas plafonné. Ça fait pas mal au cerveau ». Il faut savoir qu’en fumant des joints, ça bousille les neurones, que ça n’arrive pas qu’aux autres.
Ce livre, c’est également un message pour les jeunes de faire attention parce que même si c’est de la beuh, du shit, ils pensent que ce n’est pas grand-chose. A l’heure actuelle, il la coupe avec n’importe quoi, des produits chimiques et ça peut être très, très grave. Donc c’est pour ça aussi, j’ai écrit ce livre pour tenir informé que les jeunes, ils se mettent également en danger et ouais on l’impression maintenant que le shit, la beuh, c’est devenu bénin mais ce n’est pas bénin. C’est un petit message pour dire aux parents de faire attention ou alors aux jeunes « ça n’arrive pas qu’aux autres, ça peut vous arriver aussi ». Il sert à communiquer le désarroi.
C’est peut-être aussi un message d’espoir aussi, qu’on n’est pas tout le temps dans ce même état qu’on est au début et qu’il faut prendre patience et qu’il faut aussi arrêter de se juger nous-mêmes, d’être trop sévère. Chaque personne est différente et il faut accepter ça et être dans le non-jugement également de ne pas juger les personnes. Chacun à sa route, chacun à son chemin. Il faut être dans le respect d’autrui même dans sa propre famille. Mon mari et moi, on a vécu différemment ce deuil. Mon autre fils et mes deux filles le vivent actuellement différemment. Un qui est plus dans la colère, une autre qui est plus dans la tristesse et j’ai ma dernière, on a l’impression qu’elle fait comme si rien ne s’était passé sauf que là, c’est encore plus dangereux parce que quelque temps après, à mon avis, elle a pété les plombs, elle a tout saccagé dans sa chambre donc c’est d’autant plus dangereux que de faire comme si « ah tout va bien » mais faut faire attention parce que justement tout ne va pas bien derrière.
Combien de fois au travail, j’y vais et j’ai les larmes aux yeux, je les sèche en arrivant au travail, j’ai une carapace, je ressors et je pleurs en sortant. Mais ça au travail, y en pas beaucoup qui le savent et c’est m’autoriser des fois quand c’est trop dur, à lâcher.
C’est important de prendre le temps d’apprivoiser notre souffrance.
Parce qu’on vit notre souffrance tous les jours et il faut l’apprivoiser et cette souffrance, elle est violente donc ça ne va pas se faire en un jour. On ne pourra jamais accepter la perte d’un enfant. Comment il faut faire pour survivre à ce tsunami ? Qu’est-ce que je vais mettre en place pour pouvoir avancer et de faire ce que j’ai à faire avec ça ? Je suis descendue au plus bas, ce n’est pas parce que j’ai l’air bien que je n’étais pas au fond. J’ai pensé moi-même un jour à passer à l’acte parce que je ne supportais plus d’avoir ce cœur brisé. Ça aurait changé quoi ? Ça aurait changé que j’aurais détruit la vie de mes enfants, chose que je ne voulais pas. On peut changer et c’est ce que j’essaie de faire, de faire changer les choses. Oui, mon fils s’est suicidé et qu’est-ce que je peux faire pour plus que ça arrive à d’autres ?
Le pourquoi, on ne l’aura pas, on n’aura pas la réponse donc déjà arrêter le « pourquoi il a fait ça ? » parce que c’est une question qui va nous tuer petit à petit, qui va nous bousiller la vie donc au bout d’un moment, il faut arrêter mais on peut toujours le dire à la personne mais si la personne n’a pas le déclic à ce moment-là, c’est qu’elle n’est pas prête. C’est parce que j’ai avancé, j’ai lu, j’ai travaillé sur moi et je ne veux pas qu’un jour que mes enfants ou mes petits-enfants, si un jour j’en aie, portent ce poids-là. Je ne veux pas qu’ils portent un poids qui ne leur appartient pas et que la vie est trop courte et qu’il faut en profiter. Et Jules, je le fais profiter par rapport à mon regard que j’ai sur la vie malgré tout. Des fois, je me replonge dedans pour savoir le chemin que j’ai parcouru depuis que j’ai écrit ce livre. Nous, on ne voit pas le chemin, on fait tout pour avancer et je me dis que je suis dans un autre état d’esprit également. Ma plus grande peine, ça sera ma plus grande force parce que je veux que cette peine-là, je ne veux pas qu’elle me détruise. Je veux qu’elle serve à d’autres personnes à avancer
Alors, y a des petits défis, l’année prochaine, on m’a défié d’être témoin à un mariage. Mais je n’ai jamais re-dansé depuis 4 ans, je me suis jamais autorisé à faire la fête comme ça, c’est encore un défi. Pour moi, c’est mon combat et c’est ce qui me fait avancer, le fait que je sois encore debout, c’est de faire bouger les choses, de faire avancer et que certaines lois changent et qu’on nous écoute alors même que si les patients sont majeurs ; pourquoi pas mettre un référent d’hospitalisation même s’il est majeur et ça c’est ma lutte à moi.