Le témoignage de Lisa
Lisa est une jeune femme de 32 ans qui a perdu sa mère il y a un an et demi. Elle nous partage son histoire.
Ma mère a mis fin à ses jours durant l’été 2020. À cette période, j’étais à la campagne et mon frère était en mer. La police a réussi à joindre mon père. Bien que mes parents soient divorcés, il était présent. Je suis revenue assez vite contrairement à mon frère qui a mis une semaine à revenir. Malheureusement, cela a impacté toutes les procédures au commissariat. J’ai trouvé cela assez énervant, car en attendant, ma mère était en train de patienter à la morgue. Je me suis retrouvée assez seule dans toutes les démarches à effectuer parce que d’une part, mon frère était en mode fuite, mon père, ce n’était pas son rôle et toute la famille de ma mère était en Chine. Cela n’a pas été évident, d’autant plus que je voulais une cérémonie religieuse bouddhiste pour ma mère. Je ne savais pas trop comment m’y prendre, à vrai dire ça a été une véritable épopée. Ainsi, je suis allée dans un quartier spécifique de ma ville, car je savais qu’il y avait un temple de bouddhisme chinois. Je leur ai fait part de ma requête de manière un peu directe et à cet instant, ils m’ont donné le contact des pompes funèbres. Ces derniers m’ont beaucoup aidée. Ils ont l’habitude de s’occuper de familles, de générations comme moi, qui ne sont pas forcément en lien avec la culture. Du coup, il y avait tout un travail de pédagogie. J’avais une conseillère funéraire qui était vraiment super parce que ce n’était pas du tout le contact auquel je m’attendais dans les pompes funèbres. D’ailleurs, le fait qu’il y ait beaucoup de rituels dans les cérémonies funéraires chinoises et bouddhistes, ça m’a aidé un peu à cadrer tout ce chaos. C’est à partir de ce moment-là que ça a été beaucoup plus simple, en tout cas, au niveau des funérailles.
Les dernières années avant le décès de ma mère, elle s’était beaucoup isolée alors qu’auparavant, nous étions très proches, à la limite de la fusion. Cela a été très dur pour moi. C’était devenu difficile de la voir dans mon quotidien. En fait, je pense que d’une certaine manière, j’avais déjà commencé mon deuil un peu avant parce qu’elle-même, elle l’avait préparé. Ainsi, ça n’a pas été une coupure brutale. À l’inverse, mon frère ne s’y attendait pas, il a fait une grosse dépression, c’était la première fois que ça lui arrivait.
J’ai eu beaucoup de hauts et de bas. Par exemple, j’ai eu une grosse phase de déni où j’allais bien, je ne ressentais rien. Et puis, cela resurgit par moments. Après, j’ai ré-oublié. Ensuite, c’est revenu. Au début, j’ai complètement perdu l’appétit, ce qui m’a conduit à perdre énormément de poids. Les rituels bouddhistes m’ont beaucoup aidée, car il faut faire des offrandes et des repas. Ainsi, prendre des repas avec ma mère, c’était assez utile. Par ailleurs, sur mon bureau, j’ai installé mon autel, c’est une manière d’intégrer ma mère dans mon quotidien. De temps en temps, je visite également le columbarium où elle repose, j’y vais souvent.
Une autre chose qui m’a aidée, c’est de faire des choses qu’elle aimait bien et de faire des choses qu’elle m’avait apprises, c’était aussi un moyen de gérer ce chaos. J’ai pu également communiquer avec mes grands-parents en Chine via la seule application de réseaux sociaux qui fonctionne là-bas. D’un point de vue social, cela n’a pas été facile. Déjà que la mort, de manière générale, c’est tabou en France, alors le suicide, c’est encore pire. J’ai vu des personnes de mon entourage qui n’ont préféré rien dire et disparaître. Je me suis dit que probablement, ils n’avaient pas les outils pour savoir comment communiquer avec moi. Surtout que le contexte du Covid où l’on était déjà isolé, n’a pas forcément aidé.
Je me souviens d’un événement, à l’automne 2021 qui m’a particulièrement affectée. En fait, quelqu’un m’a parlé du suicide d’une autre personne. Je pensais que j’étais très blindée sur les questions de la mort. En effet, le suicide de ma mère a beaucoup changé mon rapport à la mort. Cependant, la nouvelle de ce suicide, d’une personne que je ne connaissais pas personnellement, a redonné un peu un caractère concret qu’il y ait eu une mort comme ça dans mon entourage. Et en fait, cela m’a mis dans un état de sidération pendant plusieurs heures et à partir de ce moment-là, j’ai eu tous les symptômes d’un syndrome de stress post traumatique : j’avais énormément de flashes qui me revenaient toute la journée, je ne dormais plus, c’était une période assez difficile et je revoyais en permanence des images de questionnements que j’avais eu énormément auparavant. C’est alors que j’ai décidé de consulter une psychologue qui faisait de l’ICV (intégration du cycle de la vie). C’est utilisé pour traiter les syndromes de stress post-traumatique. On devait faire une sorte de chronologie ensemble avant la séance où tout tournait autour de l’événement traumatisant. Donc, je devais donner une phrase de souvenir pour le moment traumatisant en lui-même, ce qui s’était passé quelques minutes avant, quelques heures, quelques jours, quelques mois et pareil pour après. Ensuite, pendant la séance, elle me le relisait en boucle, c’était un peu hypnotisant. Je devais respirer de temps en temps et vraiment, je ne sais pas comment, mais ça a fonctionné. Mais en tout cas, ça a été assez efficace parce que, même si ça a été un peu dur pendant la séance et la journée d’après, je n’ai plus du tout eu tous ces cauchemars, tous ces flashes. Cela m’arrive encore et ça ne m’empêche pas d’être toujours très triste, mais disons que ce n’est plus envahissant.
Il y a également un groupe Facebook qui m’a vraiment bien accompagnée pendant plusieurs mois. C’était un groupe d’endeuillés par suicide, très réactif. Le fait de lire les témoignages d’autres personnes, de poser des questions qui ne sont pas forcément faciles à formuler à des gens qui pourraient potentiellement ne pas comprendre, d’être connecté avec ces gens que je connaissais pas du tout, mais qui pouvaient comprendre, ça m’a vraiment bien aidé.
Ce n’est pas forcément immédiatement après le décès de la personne qu’on a besoin d’aide, mais c’est surtout après.
Quand tout le monde commence à oublier mais nous, on n’oublie pas. Je sais que ça durera toute la vie, mais ça les gens oublient vite et ne mentionnent plus la personne.
Pour m’aider, ce que j’ai fait, c’est d’avoir une sorte de note sur mon téléphone. En fait, à chaque fois qu’il y avait quelque chose qui me passait par la tête, j’écrivais, en rapport avec ce décès ou tout ce qui me venait, je le notais. C’est un peu une sorte de journal. J’ai gardé toutes ces traces. Une deuxième chose, c’est de faire en sorte que ma mère soit intégrée dans mon quotidien, au sens où me dire, je fais des petits rituels en lien avec elle, ne serait-ce que pour préparer des repas qu’elle faisait.
Si je regarde en arrière, j’aurais souhaité qu’il existe un endroit, un site où les informations soient centralisées. Je pense qu’on est tellement choqué sur le moment qu’on a dû mal. Et ne serait-ce que d’avoir une sorte de mémo en disant « bon bah voilà, il y a ça à faire ». C’est un peu froid et pratique, mais sur le coup, ça aide ! Également des ressources pour savoir comment communiquer avec les gens sur mes besoins à moi ou sur les manières dont eux peuvent aborder la question. Les gens qui ne sont pas endeuillés par suicide, mais qui se retrouvent confrontés parce qu’ils ont un proche qui est endeuillé par suicide, je pense que ça les aiderait aussi d’avoir ce genre de ressources.
Aujourd’hui, ça va, en fait ça dépend des jours, ça peut varier beaucoup. Par exemple, pour mon anniversaire, j’ai été très, très triste car j’aurais voulu qu’elle soit là physiquement. Ça faisait longtemps que je n’en avais pas parlé, d’ailleurs. Mais c’est vrai qu’en fait, de me dire que ça pourrait potentiellement être utile pour d’autres personnes. Je trouve que du coup, ça vaut le coup d’en parler.